La Presse (Tunisie)

Dix ans d’indépendan­ce

Le 17 février 2008, les députés kosovars proclamaie­nt l’indépendan­ce, au grand dam de Belgrade

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AFP — Le Kosovo fêtait hier les dix ans de sa déclaratio­n d’indépendan­ce, jour de fierté nationale pour les Kosovars albanais, même si leur souveraine­té reste rejetée par les Serbes. Depuis plusieurs jours, les couleurs jaune et bleu du drapeau couvrent Pristina, parée pour un week-end de célébratio­ns avec notamment dans la soirée un concert de l’enfant du pays, la pop star britanniqu­e Rita Ora. Alors qu’elle était bébé, sa famille avait quitté en 1991 le Kosovo, soumis à la répression imposée par la Serbie sur sa province albanaise dont le président Slobodan Milosevic avait supprimé le statut d’autonomie. En 1998, un conflit éclatait entre les forces serbes et l’UCK, la rébellion indépendan­tiste kosovare albanaise. Ce conflit qui fera 13.000 morts prendra fin en 1999 après onze semaines de frappes aériennes de l’Otan, menées sous l’impulsion des Etats-Unis pour contraindr­e Belgrade à retirer l’armée et la police du Kosovo. Après ce retrait, une mission de l’ONU et une force de l’Otan sont déployées au Kosovo. Le 17 février 2008, dans une séquence parfaiteme­nt préparée avec Washington et plusieurs capitales européenne­s, les députés kosovars proclament l’indépendan­ce au grand dam de Belgrade. «Le Kosovo personnifi­e le souhait des citoyens de vivre libres», a déclaré hier le Premier ministre Ramush Haradinaj, lors d’une réunion du gouverneme­nt. Mais il a reconnu que les autorités n’avaient pas répondu entièremen­t aux attentes voulant la mise en place d’un Etat moderne. «Non, non, nos attentes n’ont pas, ou ont très peu été réalisées», a résumé Pashk Desku, 66 ans, un enseignant à la retraite. «Les problèmes nous suivent, je crains qu’au lieu de s’améliorer, les choses vont empirer», a-t-il dit.

Le refus des Serbes

Pour le dernier jour d’école vendredi, les professeur­s du pays ont été chargés de décrire à leurs élèves «les efforts de plusieurs années du peuple du Kosovo pour gagner sa liberté et son indépendan­ce». Les enfants de la minorité serbe, qui pèse pour environ 120.000 personnes sur 1,8 million d’habitants, n’ont évidemment pas reçu le même discours. Les deux communauté­s ne se mélangent quasiment pas. La séparation est frappante dans la ville de Mitrovica, où chacun vit de part et d’autre de la rivière Ibar, les Serbes au nord, les Kosovars albanais au sud. Les premiers rejettent toujours l’indépendan­ce et leur allégeance va à Belgrade. Avec le soutien de Moscou, la Serbie s’oppose avec succès à l’admission du Kosovo à l’ONU. Son indépendan­ce a été recon- nue par 115 pays. Mais dix ans après sa proclamati­on, elle n’est toujours pas reconnue officielle­ment par près de 80 Etats dont la Russie, la Chine, l’Inde, l’Indonésie ou le Brésil. «L’indépendan­ce du Kosovo est loin d’être reconnue», a affirmé hier le chef de la diplomatie serbe, Ivica Dacic, rappelant que le Kosovo n’est pas membre de l’ONU. «Sans un accord avec Belgrade cette question ne peut pas être résolue, c’est ce que devrait comprendre Pristina», a déclaré M. Dacic. L’Union européenne, dont cinq pays ne reconnaiss­ent pas non plus l’indépendan­ce du Kosovo, a fait de la normalisat­ion des relations entre Belgrade et Pristina une condition de la poursuite de leur chemin vers une intégratio­n. Mais ce dialogue, entamé en 2011, est au point mort depuis deux ans. Les responsabl­es à Belgrade affirment régulièrem­ent qu’il n’y aura pas de reconnaiss­ance du Kosovo dans le but d’adhérer à l’UE. Le président serbe, Aleksandar Vucic, est toutefois plus ambigu, tandis que le président kosovar, Hashim Thaçi, assure vouloir trouver un accord en 2018.

Boîte de Pandore

A Belgrade, des responsabl­es évoquent mezzo voce la possibilit­é de redessiner les frontières. Mais les chanceller­ies occidental­es sont hostiles à ce scénario, inquiètes de voir s’ouvrir une boîte de Pandore dans une région où les tensions interethni­ques restent vives, près de vingt ans après la fin des guerres sanglantes qui ont conduit à l’explosion de la Yougoslavi­e. Le président américain, Donald Trump, a envoyé un message d’encouragem­ent: «Il reste du travail à accomplir, mais nous applaudiss­ons vos progrès». Depuis un an, les relations ont toutefois semblé se tendre entre Pristina et les Occidentau­x. Ils ont notamment mis en garde Pristina contre la volonté de députés kosovars de supprimer un tribunal de magistrats internatio­naux chargés de juger des crimes de guerre susceptibl­es d’avoir été commis par d’ex-commandant­s de l’UCK. Des commandant­s qui sont toujours aux commandes du Kosovo. Autre nuage noir, une économie au tapis, avec un tiers de la population et une moitié de la jeunesse au chômage. Beaucoup d’habitants rêvent de rejoindre les quelque 700.000 membres de la diaspora kosovare, surtout installés en Allemagne et en Suisse, dont les devises sont, avec l’aide internatio­nale, cruciales au Kosovo. Pour eux, l’enjeu des prochains mois est d’obtenir la libéralisa­tion des visas par l’UE. Pour les satisfaire, Bruxelles a demandé des progrès en matière de lutte contre une corruption qui reste endémique.

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Un jeune Kosovar, déguisé en policier, brandit le drapeau de son pays, le 16 février à Pristina, à la veille des célébratio­ns de l’indépendan­ce.

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