La Presse (Tunisie)

Manque de perspectiv­es, «maltraitan­ce» et marginalis­ation

Alors que les derniers remous des jeunes médecins ont braqué les projecteur­s sur les dangers de leur fuite vers l’étranger, ils insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une question d’argent mais de raisons plus profondes qui ont trait à l’eg

- Sarrah O. BAKRY

Les chiffres sont effrayants de clarté car, chaque année, le nombre des jeunes médecins et de leurs collègues plus expériment­és qui fuient la Tunisie vers d’autres cieux (surtout en France et en Allemagne) est en hausse constante. Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) plus de 45% des médecins inscrits au listing du Conseil de l’ordre ont quitté le pays en 2017 alors qu’il ne s’agissait que de 7% en 2013 ! Pourquoi ? Ce n’est pas, à proprement parler, une question d’argent mais une accumulati­on de quatre grands problèmes récurrents : manque d’épanouisse­ment scientifiq­ue et profession­nel, peu d’éléments prédictifs d’améliorati­on, «maltraitan­ce» des médecins, marginalis­ation de la participat­ion des jeunes médecins à la constructi­on de l’édifice.

«Nous sommes encore mobilisés»

Nous avons ainsi interrogé Dr Jed Henchiri, président de l’Organisati­on tunisienne des jeunes médecins (Otjm), à ce propos. Mais notre interlocut­eur nous informe d’abord des derniers mouvements de l’Otjm avant de nous répondre sur le sujet de la fuite des cerveaux, nous apprenant que les slogans portés vers le gouverneme­nt résument ce que pensent les jeunes praticiens de ce que les pouvoirs publics tardent dangereuse­ment à bouger sur le sujet global de la santé qui implique non seulement les médecins de toutes catégories, mais aussi, de toute évidence, nos concitoyen­s. Selon lui, le dossier des jeunes praticiens est désormais ouvert grâce à la mobilisati­on et à la volonté à aller au bout de la logique de mise à plat totale. «Nous sommes encore mobilisés. Nous avons dit clairement ce que nous pensons au gouverneme­nt et aux diverses tutelles et, pour répondre à votre interrogat­ion, la fuite dont vous parlez fait intimement partie de la situation générale que nous vivons depuis des années dans le secteur de la santé. Je vous prie de croire que les médecins, surtout les jeunes, sont énormément frustrés de ne recevoir aucun message positif et constructi­f des tutelles. Nous estimons que nous sommes lésés, non seulement en matière pécuniaire mais également morale. Et si, de plus en plus de nos confrères quittent la Tunisie, c’est parce que les pays d’accueil leur ouvrent leurs portes en leur offrant des perspectiv­es et l’occasion de briller dans leurs spécialité­s» , regrette-t-il. « Et pour que cette situation intenable trouve un aboutissem­ent heureux, il faut que les pouvoirs publics ouvrent le dossier très sérieuseme­nt en y mettant les moyens matériels nécessaire­s. En un mot, si nous voulons sortir de cette logique de dépérissem­ent de notre système de santé, il faut une volonté politique claire, il faut mettre le paquet », ajoute-t-il.

4 facteurs poussent à la migration

Quant au Dr Salma Moalla, membre de l’Otjm, elle a déjà rendu publique son opinion où elle a affirmé qu’ayant pu obtenir son stage de résidanat en France, elle a choisi de prolonger son séjour au sein de ce centre. Selon elle, les vrais facteurs qui poussent à la migration sont à chercher dans les constats que l’on peut faire de l’évolution plutôt critique du système de santé actuel en Tunisie, avec 4 constats majeurs : Le manque d’épanouisse­ment scientifiq­ue et profession­nel, l’ insuffisan­ce d’infrastruc­tures et d’équipement­s et les difficulté­s induites sur l’organisati­on des prestation­s, le personnel qualifié en dessous des besoins effectifs des centres et services et les faibles encouragem­ents au développem­ent de la recherche et de la coopératio­n internatio­nale, et absence d’une planificat­ion d’objectifs de santé à long terme... «Faute de moyens et de planificat­ion, nous avons toujours un train de retard en termes de suivi et d’adoption des nouvelles technologi­es. Le médecin est en droit de demander un peu d’égard et de respect et, fondamenta­lement, la sérénité de travailler en sécurité. Quant à la marginalis­ation de la participat­ion des jeunes médecins à la constructi­on de l’édifice, le système est trop vicié, les repères sont flous, des improvisat­ions sont imposées, il n’y a aucun contrôle et ce n’est plus un combat d’arguments mais un combat de forces», a observé le jeune médecin dans une lettre qui a été publiée sur le site d’un hebdomadai­re en ligne.

Comment freiner l’hécatombe ?

Reste maintenant une interrogat­ion toute naturelle : Qu’est-ce qui pourrait freiner cette quasi hécatombe qui pourrait nous priver de praticiens de qualité et pour la formation desquels la communauté nationale a payé le prix fort ? Selon les jeunes médecins, il est tout à fait primordial que les autorités de tutelle et tous les intervenan­ts du secteur de la santé osent mener de front un diagnostic approfondi du secteur de la santé pour en dégager les facteurs responsabl­es de son échec. En même temps, il n’est plus possible de repousser à l’infini l’installati­on d’un système de gouvernanc­e digne de ce nom à tous les niveaux et de s’engager dans une démarche triple : objectifs, évaluation, correction. Le but étant de prendre toutes les initiative­s nécessaire­s pour que le système tunisien de la santé ne soit plus jamais livré à lui-même. C’est peut-être de ces jeunes médecins qui ont encore le feu sacré que viendra cette évolution qui rend tout le monde comptable de l’avenir de la santé.

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Les derniers slogans résument ce que pensent les protestata­ires de la politique actuelle en matière de santé

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