La Presse (Tunisie)

Erdogan veut assiéger Afrine

«Tirs d’avertissem­ent» turcs sur les forces pro-régime

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AFP — Le président Recep Tayyip Erdogan a affirmé hier que les forces turques assiégerai­ent prochainem­ent la ville d’Afrine, cheflieu de l’enclave où une offensive turque est entrée dans son deuxième mois pour en déloger une milice kurde. «Dans les prochains jours et de façon beaucoup plus rapide, le siège du centre de la ville d’Afrine va commencer», a déclaré M. Erdogan lors d’un discours devant les députés de son parti au Parlement. Parallèlem­ent, la Turquie a procédé, hier, à des «tirs d’avertissem­ent» contre des forces prorégime syriennes entrées dans l’enclave d’Afrine, dans le nord-ouest de la Syrie, où Ankara mène depuis un mois une offensive pour en déloger une milice kurde, selon l’agence étatique Anadolu. «Les groupes terroriste­s prorégime qui s’efforcent d’avancer vers Afrine ont reculé à environ 10 km de la ville du fait des tirs d’avertissem­ent», affirme Anadolu. La Turquie avait mis en garde Damas contre tout soutien apporté aux Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde alliée des Etats-Unis mais considérée comme «terroriste» par Ankara. Baptisée «Rameau d’olivier», l’opération lancée par l’armée turque et ses supplétifs rebelles syriens vise les Unités de protection du peuple (YPG), alliées kurdes de Washington dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI) en Syrie, mais considérée­s comme «terroriste­s» par la Turquie. Bien qu’il ait reconnu avoir perdu 32 soldats, Ankara répète à l’envi que l’offensive avance «comme prévu». Les forces turques ont certes pris à ce jour le contrôle de plus de 30 villages, mais ces localités sont situées pour la plupart dans des zones frontalièr­es du nord de la région d’Afrine. «Comme nous agissons pour éviter de mettre en danger nos forces de sécurité et en tenant compte des civils, il peut sembler que nous avançons lentement», a convenu M. Erdogan. «Nous n’y sommes pas allés pour détruire et brûler ce qui est devant nous. Nous y sommes pour créer un environnem­ent sécurisé et vivable pour les centaines de milliers de (Syriens) qui vivent chez nous», a-t-il ajouté en se référant aux plus de trois millions de réfugiés syriens qui ont gagné la Turquie pour fuir la guerre civile dans leurs pays. Les autorités turques affirment que l’offensive d’Afrine, et celle menée en 2016 plus à l’est, visent à sécuriser des territoire­s dans le nord de la Syrie pour permettre le retour de ces réfugiés dans leur pays. Quelque 240 combattant­s proAnkara et près de 200 membres des YPG ont été tués depuis le début de l’opération, selon l’Observatoi­re syrien des droits de l’Homme (Osdh), qui fait aussi état de 94 civils tués, ce qu’Ankara dément. «Sur le terrain, la Turquie a du mal à avancer», estime Jana Jabbour, docteure associée au CERI/ Sciences Po, notamment du fait de «la très bonne organisati­on des forces kurdes (des) YPG et (de) leur extrême combativit­é».

Tensions entre alliés

L’offensive fait l’objet d’un consensus en Turquie où partis politiques, médias et dignitaire­s religieux parlent à l’unisson, sur fond de rhétorique nationalis­te matraquée par les dirigeants turcs, M. Erdogan en tête. Seul le Parti démocratiq­ue des peuples (HDP, prokurde) s’est dit opposé à cette opération. Au total, 786 personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté contre l’opération ou «fait de la propagande sur les réseaux sociaux», selon le ministère de l’Intérieur. Sur le plan diplomatiq­ue, l’offensive a renforcé les tensions entre Ankara et Washington, à tel point que la Turquie menace d’ores et déjà d’avancer vers Minbej, à une centaine de kilomètres à l’est d’Afrine, où sont déployés des militaires américains aux côtés des YPG. Pour tenter d’apaiser ces tensions avec un pays allié des Etats-Unis au sein de l’Otan, le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a effectué en fin de semaine une visite à Ankara au cours de laquelle il a eu des entretiens-marathons avec M. Erdogan et avec le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu. A l’issue de cette visite, Washington et Ankara sont convenus de travailler «ensemble» en Syrie pour surmonter leur crise, avec «en priorité» la recherche d’une solution pour Minbej. Outre ses désaccords avec Washington, la Turquie doit tenir compte des intérêts de la Russie, allié clef du régime de Damas et qui contrôle l’espace aérien dans le nord de la Syrie. Moscou a beau avoir tacitement donné son feu vert à l’offensive d’Afrine, il n’a pas manqué de manifester sa mauvaise humeur à l’égard d’Ankara en fermant l’espace aérien à ses avions pendant plusieurs jours après qu’un appareil russe eut été abattu dans une zone du nord de la Syrie où des observateu­rs militaires turcs sont censés faire respecter une zone de désescalad­e. Compliquan­t davantage la donne, le régime syrien a fait annoncer avant-hier par ses médias l’imminent envoi de forces progouvern­ementales à Afrine pour contrer l’offensive turque. «Nous barrerons la route à ceux qui viennent aider depuis l’extérieur la ville ou la région», a lancé hier M. Erdogan dans une menace à peine voilée adressée à Damas.

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