Publiques, mais privées… de remèdes
C’est l’histoire d’un abcès qui s’est surinfecté à tel point qu’il risque de provoquer l’amputation du membre atteint. Un abcès qui a eu le temps de grossir et qui risque de provoquer, en cas de négligence, une septicémie, c’est-à-dire une infection généralisée massive et foudroyante à l’issue fatale pour l’ensemble de l’organisme concerné.
Un mal nommé «dossier des entreprises publiques», qui ronge le corps socioéconomique du pays, car le corps décisionnel, la tête, a fait preuve, depuis des décennies, d’un manque manifeste et notoire de volonté pour le combattre. Traduire, lui apporter les remèdes adéquats. Chaque gouvernement laisse la situation pourrir davantage et s’en va sans y remédier. Certains l’ont même fait aggraver.
Aucun gouvernement n’a, en effet, eu le courage de crever l’abcès. Un geste qui doit entrer dans le cadre de toute une stratégie thérapeutique et non être isolé et expéditif, car les risques de complications post-interventionnelles sont, elles aussi, énormes. Lire une stratégie nationale qui préserverait l’intérêt général du pays, sans sacrifier celui des salariés et non des mesures de rafistolage. Privatiser ce qui est privatisable et sauver et redresser ce qui ne pourrait l’être. Un bon bout de chemin a été effectué surtout dans le domaine de la privatisation. Près de 300 entreprises, sur le demi-millier qui existait, il y a un peu plus de 35 ans, ont ainsi été privatisées. Le reste continue de traîner dettes et d’accumuler les pertes. Une situation qui coûte près de 2,5 milliards de dinars par an aux contribuables. Ces dernières sont devenues faramineuses depuis 2011 en raison de la régression flagrante de la rentabilité desdites entreprises. Situation tragique due à un manque de compétitivité, structurel qui a fait perdre d’importants marchés à ces entreprises, dans une économie rongée par l’informel, les activités parallèles, la corruption, la contrebande, l’évasion fiscale criminelle et «légalisée». Un manque flagrant de compétitivité dû à son tour à une mauvaise gouvernance, à l’absence de l’esprit commercial, à la puissance de l’esprit tribal, à l’absence de méthodes de gestion efficaces (notamment la gestion par les résultats), à des recrutements abusifs, à l’affaiblissement du marché local, à la crise économique régionale (voisins), aux mouvements sociaux, à l’insolvabilité de certains clients, à l’excès du social, etc. Tout a commencé vers la fin des années soixante-dix du siècle dernier, lorsque le parti-Etat avait eu peur pour son pouvoir, face aux puissants syndicats des différents secteurs publics et leur capacité à mobiliser les mécontents et ils étaient très nombreux. Depuis, les gouvernements successifs, éperonnés par le FMI, ont tout fait pour détruire tout ce qui est public, surtout dans les secteurs concurrentiels. Objectifs, effriter la classe laborieuse, d’où l’institutionnalisation du précaire et ouvrir grande la porte à l’initiative privée tout en réduisant les garanties sociales contractuelles. Jérémiades de toutes parts. Chaque partie concernée crie au complot, aujourd’hui et depuis de longues années. Et le mot «privatisation» est devenu le poil à gratter de bon nombre de ces parties, dont les deux grandes centrales syndicales partenaires, celle des salariés et celle des patrons. La première crie haut et fort : «Touche pas à mon entreprise publique» et la seconde y répond, chiffres à l’appui, qu’il faut la privatiser. Mais tout le monde s’accorde sur le fait qu’il ne faudra pas toucher aux secteurs stratégiques et qu’il faudra imposer de nouvelles méthodes de gestion et la bonne gouvernance. Plusieurs experts sont eux aussi divisés. Des cabinets privés n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère et avaient appelé à la privatisation systématique de toutes les entreprises publiques du secteur non stratégique, à commencer par celles cotées en Bourse (une quinzaine en 2016). D’autres experts ont tenu à relativiser le problème, arguant que plusieurs entreprises pourraient devenir rentables moyennant de sérieuses et profondes réformes, y compris celles qui toucheraient l’allégement «intelligent» des charges sociales. Rappelons que le sureffectif général et particulier (lié au manque de compétence), l’une des tares des entreprises publiques et son corollaire le déséquilibre humain, dans les différentes fonctions organisationnelles, est le résultat de plusieurs facteurs. Parmi eux, nous citerons l’absence de stratégies pour les ressources humaines et l’existence de pratiques pernicieuses, telles que le clientélisme des différents pouvoirs successifs, l’utilisation abusive des droits acquis, y compris celui de transmettre le poste à sa progéniture, l’impunité assistée, etc. (Nous y reviendrons)