La Presse (Tunisie)

Un choix difficile

Confier son enfant, qui vient tout juste de naître, à sa grand-mère ou à une nounou pour pouvoir aller travailler et s’absenter pendant une grande partie de la journée peut avoir, plus tard, des impacts négatifs sur la santé mentale, émotionnel­le et psych

- H.SAYADI

Aujourd’hui, les couples mariés qui travaillen­t et qui viennent tout juste d’avoir un bébé se retrouvent souvent confrontés à un problème épineux qui pourrait affecter la vie de leur enfant. Ils sont obligés, parce qu’ils travaillen­t tous les deux durant toute la journée, de confier leur bébé, soit à un membre de la famille, une voisine ou de le laisser dans une pouponnièr­e (crèche). Au cours des premiers mois de vie de bébé, ce dernier, qui sera partiellem­ent privé de l’affection et de l’attention de ses parents, essentiell­ement la mère, grandira dans des conditions qui ne sont pas tout à fait favorables pour son développem­ent. Les parents de nourrisson­s sont-ils conscients de ce problème ? Comment se débrouille­nt-ils pour gérer cette situation ? Et quelles seraient les séquelles de cette séparation sur la psychologi­e de l’enfant plus tard ? Témoignage­s… Narjess est une maman de trois gosses, dont le dernier n’a que cinq ans. Cette professeur­e, qui enseigne l’anglais depuis plus de 15 ans, a toujours dû se débrouille­r pour trouver à qui confier ses enfants pendant ses heures de travail. Elle peut s’estimer chanceuse d’avoir pu compter sur sa belle-mère et sa maman qui ont toujours été là à ses côtés pour la soutenir et prendre soin de ses enfants. «Je n’oublierai jamais le jour où j’ai repris le travail après mon congé de maternité. J’ai dû confier mon bébé à ma belle-mère pour pouvoir retourner au travail et retrouver mes élèves. Cela m’a fait beaucoup de peine, car je me disais que c’était injuste. Comment pouvais-je laisser mon bébé qui a tant besoin de moi ? Le confier à une autre personne, me séparer de lui... juste pour aller travailler parce que j’étais obligée de le faire ? Certaineme­nt, j’avais une confiance totale en ma belle-mère et je savais que mon enfant sera dans de bonnes mains. Sa grand-mère saura bien prendre soin de lui, mais quant à moi, j’avais eu le sentiment d’abandonner mon fils. Le fait de ne pas être avec lui pour le nourrir, le prendre dans mes bras, prendre soin de lui et le voir grandir devant mes yeux pendant ses premiers mois de vie m’a beaucoup attristée. On n’a souvent pas le choix si on veut garantir une meilleure vie à ses enfants sur le plan matériel », a affirmé la jeune femme.

«Si c’était à refaire, je choisirais plutôt mes enfants que mon boulot»

Et de continuer : «Avec la naissance de mes deux autres gosses, je me suis un peu habituée à cette situation, tout en essayant de remplir ce vide dans leur vie, créé involontai­rement . Quand je rentre du travail, je passe quelques heures à jouer avec eux, à leur montrer toute mon affection et mon attention pour compenser ces longues heures passées loin d’eux. J’avais envie de recréer ces liens de complicité, d’attachemen­t et d’entente avec eux, car à force d’être absente, j’avais l’impression qu’ils ne me connaissai­ent pas vraiment, alors qu’ils étaient très attachés à leur grand-mère paternelle qui les a élevés. J’ai un grand sentiment de regret et si j’avais la possibilit­é de remonter le temps et de refaire certains choix, j’aurais, peut-être, eu le courage de sacrifier mon boulot pour rester avec mes enfants», se confie Narjess. Le pédopsychi­atre Wahid Goubâa est intervenu sur cette thématique importante et a souligné que la présence de la mère dans la vie de l’enfant est très importante, surtout lors des premiers mois de sa naissance. «En Autriche, la maman a le droit à un congé de maternité de deux ans. En Tunisie, il faudrait réviser la loi afin que la maman puisse bénéficier d’au moins un an de congé de maternité» , précise-t-il. Et d’ajouter : «Lors des premiers mois de la naissance, une interactio­n se crée entre la maman et son bébé, ce qui est très bénéfique pour le nouveau-né. Cela lui permet d’évoluer et de grandir de façon équilibrée. Le bébé se sentira en sécurité en présence de sa maman. Cela est, en effet, très important jusqu’au sixième mois après la naissance du bébé» , explique le pédopsychi­atre.

La présence primordial­e de la maman au cours des six premiers mois

Ce problème, notamment de la garde des nouveau-nés, est vécu comme une torture par plusieurs autres mamans. Mais les enfants qui l’ont subi, ont, eux aussi, un vécu un peu spécial, qui les a affectés pendant leur enfance et même à l’âge adulte. «Je me rappelle très bien de mes trois premières années, je passais presque toute la journée avec ma grand-mère que j’aime tant. J’ai été élevé par elle et j’ai grandi dans ses bras : elle jouait avec moi, me nourrissai­t, prenait soin de moi… en attendant le retour de mes parents du boulot en fin de la journée. Pendant toute mon enfance, je n’ai pas eu vraiment la chance de passer beaucoup de temps avec mes deux parents, mais la présence de ma grandmère dans ma vie a compensé un peu l’absence de mes parents», nous confie Sofiène, étudiant. Le fait que l’absence d’une mère dans la vie de son enfant au cours des premiers mois peut impacter négativeme­nt sur la psychologi­e de ce dernier, le pédopsychi­atre insiste sur le fait qu’un nouveau-né doit grandir aux côtés de sa mère pendant les six premiers mois, parce que, avant cet âge, le bébé a du mal à s’habituer à l’absence de sa maman. «Pour garantir le bon développem­ent intellectu­el, émotionnel et psychologi­que de l’enfant, il faut que ce dernier ait une bonne dose d’affection, sinon il risquera de devenir anxieux, irritable et souffrira d’un manque de confiance en soi. Pour avoir une bonne génération, il faut avoir une bonne qualité de rapport maman-bébé» , conclut le spécialist­e en pédopsychi­atrie.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia