La Presse (Tunisie)

Zuma devant le juge aujourd’hui

Il sera entendu dans une affaire dont les faits remontent à près de 20 ans... Il est accusé d’avoir touché des pots-de-vin d’un groupe français du temps où il n’était pas encore président

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AFP — L’ex-président sud-africain Jacob Zuma a rendez-vous aujourd’hui devant la justice pour y répondre d’accusation­s de corruption dans une vieille et rocamboles­que affaire de ventes d’armes, deux mois à peine après avoir été contraint à la démission. Près de vingt ans après les faits, M. Zuma est convoqué devant un tribunal de Durban (nord-est), la capitale de son fief du KwaZulu-Natal, pour la toute première audience d’un procès d’autant plus attendu qu’il a bien failli ne jamais se tenir. Ancien député du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, Andrew Feinstein ferraille depuis plus de dix ans pour que la vérité éclate sur ce dossier. «J’espère un vrai procès et un verdict approprié. Si c’est le cas, Jacob Zuma devrait finir en prison», a-t-il dit à l’AFP, «les preuves de sa culpabilit­é sont écrasantes». Alors «ministre» de l’Economie dans la province du KwaZuluNat­al puis vice- président de l’ANC et du pays, M. Zuma est soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin du groupe français d’électroniq­ue Thales, à la faveur d’un contrat d’armement de près de 4 milliards d’euros conclu en 1999. Thales, qui a remporté une partie de ce contrat pour l’équipement de navires militaires, est également poursuivi dans ce dossier. Selon l’acte d’accusation, M. Zuma est accusé d’avoir touché du groupe 4.072.499,85 rands — l’équivalent de 280.000 euros au cours actuel — versés par un homme d’affaires présenté comme son «conseiller financier», Schabir Shaik.

«Protection»

L’une des principale­s pièces à conviction du parquet est un fax dans lequel le responsabl­e d’une filiale sud-africaine de Thales, alors Thomson-CSF, décrit par le menu à sa direction parisienne les termes de l’accord passé avec Jacob Zuma. Le groupe Thales «a conspiré avec M. Shaik, son entreprise Nkobi et l’accusé numéro 1 (Zuma) pour payer à l’accusé numéro 1 un montant de 500.000 rands par an (...) de pots-de-vin en échange de (sa) protection», résume l’accusation. Sollicité par l’AFP, le groupe Thales a refusé de faire le moindre commentair­e sur une «affaire en cours». De son côté, M. Zuma a toujours fermement rejeté ces accusation­s, qu’il juge «politiquem­ent motivées» par son grand rival de l’époque, Thabo Mbeki, alors président. «Il n’y a pas une once de preuve démontrant que de l’argent a été versé à un quelconque responsabl­e public», avait-il fanfaronné il y a deux ans à la remise du rapport d’une commission d’enquête qui l’avait lavé de tout soupçon. C’est pourtant sur la foi des mêmes accusation­s que M. Shaik a été condamné en 2005 à quinze ans de prison. Celui qui est devenu président de l’Afrique du Sud en 2009 avait, jusque-là, réussi à échapper aux poursuites. Par deux fois, les charges retenues contre M. Zuma ont été annulées puis rétablies, au gré de vices de procédure ou de décisions de justice très controvers­ées. La dernière, quelques jours avant son élection à la magistratu­re suprême, semblait avoir enterré définitive­ment l’affaire.

Lâchage

Il a fallu l’obstinatio­n du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratiq­ue (DA), et l’arrivée à la tête du pays en février de Cyril Ramaphosa, qui a fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités, pour la ressuscite­r. Le mois dernier, le procureur général du pays Shaun Abrahams, d’ordinaire plus docile à l’égard de M. Zuma, l’a renvoyé devant le tribunal pour fraude, corruption et blanchimen­t. L’ANC, qui a poussé M. Zuma à démissionn­er en février à cause de ses ennuis judiciaire­s, a pris ses distances avec l’accusé. Son secrétaire général, Ace Magashule, a invité ses militants à éviter les manifestat­ions de soutien à l’ex-président «pour ne pas donner la fausse impression que l’ANC s’identifie ou approuve les méfaits dont peut être accusé un de ses membres». Ses partisans ont malgré tout prévu une démonstrat­ion de force aujourd’hui devant le Palais de Justice de Durban. Muet depuis sa démission, M. Zuma est sorti de son silence la semaine dernière pour se présenter en victime. «Je suis parti mais ils sont toujours après moi», a-t-il lâché lors d’une messe. Dans un pays fatigué par la litanie des scandales qui ont marqué la fin de l’ère Zuma, l’opposition et les ONG espèrent maintenant de la justice un verdict exemplaire. «Il faut comprendre que ce dossier ne se résume pas à quelques pots-de-vin, c’est un coup qui a affaibli la démocratie pendant les quinze ans qui ont suivi», a commenté auprès de l’AFP le militant anticorrup­tion Hennie van Vuuren. L’audience prévue aujourd’hui devrait être de pure forme, selon les juristes, qui anticipent un très long procès.

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Jacob Zuma

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