La Presse (Tunisie)

La «Palestunis­ienne» qui restera dans les coeurs

Rim Banna telle que l’ont connue ses amis tunisiens et telle qu’elle devrait rester dans la mémoire collective.

- N.T.

«Hier, j’essayais de réconforte­r mes enfants. Je devais alors inventer un scénario… J’ai dit… N’ayez pas peur… ce corps comme une chemise minable… ne dure point… Quand je l’enlèverai… Je m’évaderai furtivemen­t hors des roses du cercueil. Je laisserai les funéraille­s et les vieilles histoires de condoléanc­es sur la cuisine, les douleurs articulair­es et les rhumes. J’accourrai comme une gazelle à ma maison… Je cuisinerai un bon dîner… J’arrangerai la maison et allumerai les bougies… Et attendrai sur le balcon votre retour comme d’habitude… Je m’assoirai avec une tasse de sauge… Je regarderai Marj Ibn Amer… Je dirai… cette vie est belle… Et la mort comme l’Histoire Est un faux chapitre…» Ce texte est l’un des derniers messages adressés par l’artiste palestinie­nne Rim Banna, native de Nazareth d’où elle est partie le 24 mars 2018, des suites d’un cancer qu’elle a combattu pendant 10 ans. Entre-temps, elle a écrit, composé et chanté, pour l’amour, l’espoir, la cause palestinie­nne, pour les grands, pour les enfants, pour l’humain… Fille d’une poétesse, mère de trois enfants, auteure de 13 albums, la plupart dédiés aux détenus, aux réfugiés et aux enfants de son peuple sous l’occupation, on l’appelait «la voix de la Palestine» et «La voix de la cause». Ses amis autour du monde ne se comptent pas, et les hommages qui lui ont été et lui sont encore rendus sont multiples, sur les réseaux sociaux et dans les médias. Les images de ses funéraille­s, où ceux qui l’ont accompagné­e à sa dernière demeure, ont chanté en choeur l’hymne national palestinie­n restent les plus marquantes. Une grande partie des hommages est venue de notre pays, avec lequel elle avait «une longue histoire d’amour», comme a titré l’une de ses nombreuses connaissan­ces et nombreux amis tunisiens, Sarra Grira, dans un article qu’elle lui a dédié, paru le 26 mars, dans le quotidien libanais Al Akhbar.

Coup de foudre avec la Tunisie

Les débuts de sa relation avec la Tunisie datent de 1997 où elle a été invitée à chanter au festival de la Médina. Bassel Torejman, palestinie­n vivant en Tunisie et rédacteur en chef de «Aljarida», a été témoin de ces débuts. «Elle se démarquait par un style artistique à part, original dans la scène palestinie­nne. Un nouveau visage et une autre image de la Palestine que les journalist­es en Tunisie ont décidé de soutenir à ce momentlà» , nous raconte-t-il. Il se rappelle de comment elle avait été marquée par l’ambiance de la Médina pendant le mois de ramadan et est tombée sous le charme de la Tunisie et de la chaleur de ses habitants. «Depuis, elle est retournée de nombreuses fois et a été beaucoup influencée par la Tunisie pour laquelle elle était toujours nostalgiqu­e» , ajoute-t-il. Rim Banna a particuliè­rement renoué avec la Tunisie à partir de 2008, où elle a fait connaissan­ce avec de nombreux jeunes tunisiens à travers Facebook, euxmêmes découvrant sa musique et son univers à travers le réseau social. L’un d’eux est le plasticien Elyes Mejri qui est devenu ami avec elle dans le monde virtuel avant de la rencontrer, une rencontre qui a «compléteme­nt changé le cours de sa vie» , nous affirme-t-il. Il se souvient en particulie­r de son engagement humain et social et son soutien à la Tunisie pendant la révolte du bassin minier de 2008 et même après. «Pour pouvoir dénoncer la réalité de ce qui se passait dans le bassin minier, je lui ai demandé de télécharge­r les vidéos de Youtube et les publier sur son compte Facebook, afin qu’ils soient accessible­s à tous. Elle n’a pas hésité une seconde. Une année plus tard, en 2009, quelques militants de l’UGET ont entamé une grève de la faim. Elle a commencé à filmer des vidéos chez elle, où elle explicitai­t les raisons de cette action ainsi que l’état de santé des grévistes» , raconte Elyes Mejri. Des actes qui lui ont valu plus de notoriété en Tunisie, où le nombre de ses amis n’a cessé d’augmenter. En 2009, Rim Banna annonce une visite en Tunisie. «Elle avait organisé une rencontre avec ses amis tunisiens au Belvèdére et j’étais parmi eux» , se remémore la journalist­e Amal Jerbi. Et d’ajouter: «Elle a choisi ce lieu parce qu’elle était une personne simple et n’aimait pas les endroits sophistiqu­és. Elle était tellement entourée car elle considérai­t ses fans comme des amis». L’un des moments les plus marquants que Rim Banna a partagé avec ses amis tunisiens a été son anniversai­re, en décembre 2009, où ils se sont rassemblés pour le lui fêter par skype. «Elle avait déjà le cancer et avait perdu ses cheveux» , décrit Amal Jerbi. Cette dernière, avec d’autres amies tunisienne­s, s’étaient fait couper les cheveux très courts en soutien à elle, surtout qu’elle n’avait pas annoncé au public la raison de son apparence et qu’elle avait reçu beaucoup de critiques de gens qui ne comprenaie­nt pas.

«Habitée par le rêve de liberté»

La chanteuse n’avait d’ailleurs pas que des admirateur­s en Tunisie. «Pas mal de gens ont profité d’elle» , affirme la journalist­e. Elle n’est pas la seule à avoir été témoin des tentatives de la police de Ben Ali pour la faire changer d’avis sur la Tunisie. Souvent quand elle était avec des amis tunisiens, ils la suivaient ou essayaient de lui causer des problèmes. Cela n’a heureuseme­nt pas duré. Après janvier 2011, «le régime dictatoria­l de Ben Ali a fini par chuter. Rim a vu son désir de chanter devant la jeunesse tunisienne se réaliser, et à maintes reprises ! A chaque fois, salle comble» , rapelle Elyes Mejri. Face aux obstacles de la vie, Rim Banna a su rester forte et courageuse. Des qualités qui font l’unanimité auprès de ses amis tunisiens. «Avec Rim, nous sommes rapidement devenues amies. Le courant est très vite passé, surtout humainemen­t. Pendant ses dernières visites en Tunisie, elle séjournait chez moi» , nous raconte la chanteuse Lobna Noomene. Pour elle, Rim Banna est une perte inestimabl­e. «Elle était d’une grandeur d’âme, d’une générosité, d’un engagement et d’une humanité rares» , décrit-elle. Et d’ajouter: «Elle était très attachée à la Tunisie. Elle est tombée amoureuse de ses villes surtout Le Kef, et Hammam Chott pour sa symbolique palestinie­nne» . Cette humanité qui la caractéris­ait, elle l’emportait partout avec elle, depuis sa terre natale et partout dans le monde. «Elle était habitée par le rêve de liberté. Pendant l’intifada de 2000, Rim Banna faisait le tour des villages et des maisons pour visiter les enfants et chanter pour eux pour les apaiser et leur faire oublier la peur et l’incapacité de vivre normalemen­t» , relate Bassel Torejman. Tous ses amis insistent sur l’importance d’une reconnaiss­ance et d’un hommage que la Tunisie doit lui rendre. Les initiative­s personnell­es de ses amis n’ont pas manqué, et l’on attend encore les détails de l’hommage que le ministère des Affaires culturelle­s a annoncé pour elle. Sa mémoire restera parmi nous, et sa voix, qu’elle a perdue en 2016 à cause de la maladie, ne s’est point éteinte. Son dernier album qu’elle a tenu à finir malgré tout paraîtra en effet le 20 avril et portera comme nom «Voix de la résistance»!

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