L’armée est républicaine et le restera
Le général Mohamed Nafti : «Malgré les tentations, au lendemain de la révolution, Rachid Ammar n’a jamais songé une seconde à prendre le pouvoir»
A l’heure où un député élu de l’Assemblée des représentants du peuple ose déclarer en direct à la radio être favorable à un coup d’Etat militaire, il est légitime d’engager une réflexion autour des relations civilo-militaires en Tunisie au lendemain de la révolution de 2011. La journée d’étude, organisée hier par l’Institut tunisien des élus, tombait à point nommé et s’est essentiellement intéressée aux expériences de l’Espagne et de l’Amérique latine dans un contexte de transition démocratique, mais également aux relations que doit entretenir l’institution militaire avec la société dans un contexte sécuritaire particulier. Maître de conférences en sciences politiques à l’université de Toulouse, Bernard Labatut exhibe l’exemple de l’Espagne comme modèle de réussite. Après la mort du général Franco, et bien que pendant les années 1980 certains aient sciemment laissé planer la menace d’un putsch, l’alternance politique a peu à peu fini par éloigner le danger de manière définitive. «Aujourd’hui, personne en Espagne ne se soucie de l’avis de l’armée sur la question catalane», illustre Bernard Lababut. Malgré les défis sécuritaires et notamment la provocation de l’organisation terroriste séparatiste ETA, l’opinion publique espagnole a fait preuve de beaucoup de maturité et a résisté aux tentations putschistes. Le défi majeur, à la lumière de l’expérience des pays hispaniques, c’est sans aucun doute celui de la professionnalisation de l’armée. Là, Bernard Lababut met en garde contre deux extrêmes nuisibles pour l’institution militaire. D’abord, la «ghettoïsation de l’armée», qui isole complètement l’armée de la société. Ensuite, le risque est également de transformer l’armée en forces de maintien de l’ordre, et ce, en l’impliquant dans les conflits sociaux. Interpellé par le député Imed Daimi sur l’absence d’une expérience de justice transitionnelle en Espagne (« L’expérience espagnole n’a-t-elle pas été simplement de mettre un couvercle sur la marmite en ébullition ?»), le professeur Lababut a rétorqué : «C’est vrai», estimant que la paix est une perpétuelle construction. Il soutient ainsi l’idée que les pays hispaniques ont plus ou moins réussi à entretenir «la culture du maintien des fragiles équilibres complexes». De son côté, l’ancien général de l’armée, actuellement à la retraite, Mohamed Nafti, a rappelé que l’armée tunisienne a de tout temps, et à travers l’histoire, été une armée disciplinée et sans velléités putschistes. «Malgré les tentations, au lendemain de la révolution, Rachid Ammar n’a jamais songé une seconde à prendre le pouvoir», explique-t-il. Le général Nafti remonte le temps et rappelle que les «fellagas» (le premier embryon de l’armée tunisienne), qui ont lutté contre la France coloniale, ont toujours eu un commandement civil. D’un autre côté, bien que le général ne conteste pas la nécessité d’un droit de regard démocratique sur l’institution militaire, il exprime une répulsion au terme de «contrôle démocratique» et lui préfère celui de «surveillance démocratique». «Dans le monde militaire, le terme de contrôle est très fort, il renvoie à des prérogatives de commandement», dit-il. Il est à noter qu’en Tunisie, le budget de la défense se positionne au 4e rang avec 7,22% du budget de l’Etat.