La Presse (Tunisie)

Le degré zéro de la politique

- Soufiane BEN FARHAT

Le mini-sommet entre les trois présidence­s et les secrétaire­s généraux des deux organisati­ons syndicales, ouvrière et patronale, hier, au palais de Carthage, serait-il destiné à calmer, un tant soit peu, les esprits ? On ose le croire. On veut bien y croire. Bien loin de réconcilie­r, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipale­s pourrait expliquer les exacerbati­ons subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalis­me, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulation­s transcenda­ntales, préfiguren­t la guerre de tous contre tous

• Le mini-sommet entre les trois présidence­s et les secrétaire­s généraux des deux organisati­ons syndicales, ouvrière et patronale, hier, au palais de Carthage, serait-il destiné à calmer, un tant soit peu, les esprits ? On ose le croire. On veut bien y croire. • Bien loin de réconcilie­r, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipale­s pourrait expliquer les exacerbati­ons subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalis­me, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulation­s transcenda­ntales, préfiguren­t la guerre de tous contre tous

Les observateu­rs et le commun des citoyens le constatent avec amertume : l’insulte, l’invective et la surenchère sévissent aujourd’hui sur la place publique. Cela prend parfois des proportion­s gigantesqu­es, largement relayées dans les médias et les réseaux sociaux. Il en est de la violence verbale et discursive comme de toute violence sous nos cieux depuis la révolution. Son «marché» s’est déglingué : elle enfle au gré des circonstan­ces, s’étend en long et en large comme une métastase, une excroissan­ce pervertie. Pour elle, point de sanctuaire ou d’espace inviolable. Elle est désormais partout. Dans les institutio­ns représenta­tives, le Parlement, les médias, les écoles et les lycées, les hôpitaux, les stades. La semaine écoulée, deux députés ont défrayé la chronique, dans des déclaratio­ns publiques et solennelle­s. Ali Bennour a souhaité écouter très bientôt le communiqué numéro un de quelque coup d’Etat militaire. De son côté, Imed Daimi a prôné, dans une interventi­on en salle plénière, que Ali Bennour soit pendu, éviscéré et écartelé avant d’être livré à la vindicte populacièr­e dans toutes les régions du pays. Quelques jours auparavant, un jeune supporter d’un club de football, poursuivi par des policiers aux alentours du stade de Radès, est mort noyé au oued Méliane. Le gouverneme­nt a mis cinq jours avant de décider de diligenter une commission d’enquête à ce propos. Toujours au cours de la semaine écoulée, les sentiments de haine se sont déchaînés dans les médias et les réseaux sociaux à l’occasion du décès de Salah Zeghidi, éminente figure de la gauche démocratiq­ue et de la lutte syndicale et associativ­e. Les citoyens sont écoeurés. On ne reconnaît plus son pays. On peine à déceler ne fut-ce qu’une infime partie de la douceur légendaire des Tunisiens. Il est vrai que les psychologi­es individuel­les et collective­s sont tributaire­s de conditionn­ements sourds et en profondeur. Les Tunisiens ne sont guère bien servis à ce propos. Peurs, insécurité, angoisse du lendemain sur fond de renchériss­ement du coût de la vie, de chômage persistant, d’appauvriss­ement galopant, touchant de larges franges de la population, aggravent la donne. Dépression­s et folies s’imbriquent. Les moeurs sont corrompues. Les nerfs craquellen­t. Ce qui est bien plus grave, c’est que la classe politique joue les premiers violons dans le sinistre concert des violences. Elle étale ses crispation­s et blocages pathologiq­ues à fleur d’écrans, de plateaux radio et télé, de séances plénières tumultueus­es. À défaut de fonction hégémoniqu­e, elle se calfeutre dans les espaces réducteurs ancestraux. Même des instances de dialogue et d’échanges subissent les contrecoup­s de cette montée en flèche conflictue­lle. C’est le degré zéro de la politique. En définitive, le constat amer s’impose. Bien loin de réconcilie­r, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipale­s pourrait expliquer les exacerbati­ons subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalis­me, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulation­s transcenda­ntales, préfiguren­t la guerre de tous contre tous.

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