La Presse (Tunisie)

Mes souvenirs de la journée mémorable

- Par Ridha MABROUK

Une des bases de notre identité culturelle, c’est le vécu transmis aux descendant­s pour servir d’exemple.

U ne des bases de notre identité culturelle, c’est le vécu transmis aux descendant­s pour servir d’exemple. J’étais interne au collège Sadiki, en seconde, soit une année avant le diplôme. Nos enseignant­s, depuis les cheiks de la Zitouna aux maîtres de sciences, de français et d’arabe, étaient très respectés. Mais l’un d’eux, Ali Belahouane, était notre idole. Sa leçon, très attendue, ranimait chez nous la flamme nationalis­te qui couvait. On était au courant du dialogue de sourds entre la Résidence générale et le Destour. Mais aucune éclaircie n’apparaissa­it à l’horizon. On se sentait soumis pour toujours. Et voilà que le matin du 9 avril, un camarade de ma classe, Azouz Rebaï, arrive très ému. Il nous dit : « Je vous annonce une triste nouvelle : notre maître vénéré a été condamné pour attitude antifrança­ise. Il serait maintenant en prison ». Notre décision commune ne s’est pas fait attendre. Nous devons vite le défendre. Les élèves internes auxquels se joignent des externes, qui grossissen­t le rang des protestata­ires, sont conduits par Azouz à Bab Souika, lieu de la grande manifestat­ion. Avec un camarade, je portais une des banderoles (libérez Belahouane, BarlamanBa­rlaman). On était joyeux et fiers de défendre notre maître et aussi notre cher pays. Agés de 16 à 17 ans, on a eu le courage d’affronter des militaires français (en majorité des soldats d’origine sénégalais­e). Ils nous attendaien­t à Sinan Pacha et à Bab Bnet, pointant vers nous leurs fusils. Bien des camarades ont été blessés durant ces affronteme­nts. Si Béchir Slama, dans son livre, dit que du sang coulait dans la rue. Le Conseil du collège, en majorité français, a rapidement pris des décisions bien sévères. Les sanctions ont varié de l’exclusion totale à l’exclusion provisoire, au redoubleme­nt qui fut la mienne. Sûr de mes bonnes notes et de l’appréciati­on de mes maîtres, je me suis senti injustemen­t condamné, et j’ai quitté Sadiki pour m’inscrire au Lycée Carnot. J’en garde aujourd’hui un immense regret, car j’ai perdu le diplôme auquel je rêvais. Le mouvement général de protestati­on, organisé par le Destour dans tout le pays a accompagné ou suivi notre geste totalement spontané.

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