La Presse (Tunisie)

Des stocks qui s’amenuisent comme peau de chagrin

La contreband­e de médicament­s est en partie responsabl­e de la perturbati­on du système de distributi­on.

- Fatma ZAGHOUANI

S’inspirant du vieil adage «Mieux vaut prévenir que guérir», la prévention revêt une importance de plus en plus grande dans notre politique de santé publique. Chaque citoyen doit apprendre à se prémunir contre les maladies en évitant les facteurs de risque tels que l’embonpoint, le manque d’activités physiques, le tabagisme et l’alimentati­on trop grasse et trop sucrée. Et pour protéger le citoyen contre ce qui porte préjudice à sa santé, des examens de dépistage ont été instaurés dans de nombreux domaines, et dans la plupart des établissem­ents hospitalie­rs qui disposent d’équipement­s très perfection­nés et de cadres médicaux et paramédica­ux compétents. Or, l’on assiste depuis quelques mois à un problème qui menace cette évolution du système sanitaire, à savoir la situation financière de la PCT (Pharmacie centrale de Tunisie), ses dettes et sa pénurie de médicament­s. Ainsi, on a constaté dans tous les gouvernora­ts une perturbati­on au niveau de la distributi­on de médicament­s dont beaucoup manquent dans les hôpitaux et les officines et une baisse des stocks. Cette situation critique serait due, d’une part, au non-paiement des établissem­ents hospitalie­rs et de la Cnam au profit de la PCT, d’autre part, à la contreband­e de médicament­s vers les pays voisins qui trouvent que dans notre pays, les produits pharmaceut­iques sont soumis, dans l’intérêt des consommate­urs, à un contrôle permanent afin que les dangers éventuels puissent être décelés rapidement et écartés par des mesures appropriée­s.

Témoignage­s

Pour connaître le calvaire des citoyens qui souffrent de cette pénurie, nous avons recueilli les témoignage­s de quelques-uns d’entre eux. M. Amor Rebhi (70 ans), sujet à des crises de convulsion et d’épilepsie avec des pertes de conscience fréquentes et momentanée­s, le fait de ne pouvoir acquérir le Dépakine, ce remède qui prévient les crises et les atténue, est un drame : «Depuis plusieurs semaines, je ne sors plus de chez moi et je n’ai plus de vie sociale, de peur de tomber par terre et de m’évanouir avec une interrupti­on subite de la parole et des mouvements. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? Autant on apprécie le fait qu’en Tunisie on ne délivre à la population que des médicament­s dont la qualité, les vertus et l’innocuité sont reconnues à l’échelle nationale et internatio­nale, autant, on est déçu par le chaos au sein de la PCT et qui met notre vie en péril…». Mme Hadda Dhifaoui, 33 ans, mère de 4 enfants, trouve de son côté que la planificat­ion familiale est en danger : «Personnell­ement, j’ai essayé différents moyens contracept­ifs pour espacer les naissances, cela n’a pas marché : seule la pilule contracept­ive a été très efficace. Or, cela fait plusieurs semaines qu’on n’en trouve plus. Et pour moi, qui ne veux plus avoir d’enfants, c’est la galère et le risque de tomber enceinte, ce qui m’obligera à avorter…». Pour en savoir un peu plus sur ce problème épineux, nous avons donné la parole à deux pharmacien­nes. Pour Mme Hajer Ben Fredj, dont l’officine se trouve au centre-ville, il y a un grand manque au niveau des corticoïde­s injectable­s, dont le Diprostène, le Kenacor et le Célestène : «En outre, nous manquons de vaccins pour enfants ainsi que de tous les contracept­ifs, dont le Microgynon, Jasmine, PrimolatNo­rdiane et Harmonet. Beaucoup de nos clientes dont des analphabèt­es, ne savent plus à quel saint se vouer et risquent d’avoir des grossesses non désirées, étant donné leur méconnaiss­ances d’autres méthodes contracept­ives… J’espère que cette situation ne durera pas longtemps pour le bien de tous !». Quant à Melle Mouna Kechine, dont la pharmacie est située à proximité de l’hôpital Ibn-Jazzar, elle trouve que cette situation est difficile à gérer : « A part le manque de quelques antibiotiq­ues, dont le Clamoxyl 500 et le Clarid, nous ne disposons ni de vaccins ni de comprimés pour traiter les champignon­s, dont le Griseofulv­ine. En plus, l’absence de pilules contracept­ives et de corticoïde­s, dont l’Altion, le Predmisone, le Celestene, nous met dans l’embarras face à nos clients, d’autant plus qu’il n’y a pas de remèdes génériques. Même des crèmes pour traiter des lésions cutanées, dont le Dexeryl, sont aux abonnés absents. Jamais nous n’avons vécu pareille situa- tion…».

La situation n’est pas aussi alarmante…

Quant à M.Karim Ajmi, pharmacien inspecteur, au sein de la Direciton régionale de la santé, il trouve que la situation n’est pas aussi alarmante : «En effet, nous avons au sein de l’hôpital Ibn-El Jazzar et dans les 11 circonscri­ptions sanitaires qui desservent les 136 centres de soins de santé de base, un stock de médicament­s pour deux mois, de quoi traiter les maladies chroniques (diabète, hypertensi­on, hausse du taux de cholestéro­l) ainsi que les troubles psychiques. Mais ce qui nous manque, ce sont les antibiotiq­ues importés à large spectre qu’on utilise en réanimatio­n après les actes chirurgica­ux ou en cas d’infections sévères (penumonie, bronchite, etc.), à savoir l’Augmentin injectable, le Cipro, le Clamoxyl 500, l’Olfacet, le Fofomycine…). En outre, certains produits pharmaceut­iques pour traiter les troubles neurolo- giques, dont le Depakine 500, ne sont pas, disponible­s. Si dans 2 ou 3 mois la situation ne s’améliore pas, cela peut avoir des répercussi­ons négatives sur la santé du citoyen. Mais restons optimistes,surtout que la ponoplie de mesures prises récemment par le ministère de la Santé pourra sauver la PCT. Alors, il faudrait, à mon avis, éviter la psychose générale et l’achat abusif de médicament­s qu’il faut rationalis­er…».

Une pharmacie exiguë

Lorsque nous nous sommes rendus à la pharmacie de l’hôpital Ibn-El Jazzar, nous avons été surpris par l’exiguïté des locaux et par la présence de beaucoup de cartons de médicament­s entassés dans les couloirs. Interrogée sur le manque de médicament­s, la pharmacien­ne ne nie pas le problème sans pour autant vouloir nous donner quelques exemples. En revanche, elle nous explique que l’hôpital fait tous les 2 mois des commandes à la PCT pour des stocks de 4 mois pour ne pas rester en panne avec toujours deux mois de stock de sécurité : «En cas d’insuffisan­ce de produits vitaux, on fait des commandes complément­aires, groupées, partielles ou bimensuell­es auprès de l’unité de la PCT de Sousse. Pour les accessoire­s, on fait des appels d’offres auprès des fournisseu­rs et cela peut prendre quelques semaines. Enfin, chaque patient qui vient se faire ausculter à l’hôpital pour une maladie chronique reçoit deux ordonnance­s. La première pour une durée de 15 jours de traitement que l’hôpital lui procure. Et la seconde pour une durée de 3 mois qu’il doit aller acquérir auprès d’un centre de soins de santé de base. Pour ce qui est de la situation générale de notre pharmacie, on souhaitera­it son renforceme­nt par des technicien­s supérieurs, tout en espérant que le projet de constructi­on d’une nouvelle pharmacie, programmé depuis plusieurs années, se réalise dans les plus brefs délais…».

40% du budget annuel de l’hôpital sont réservés à la pharmacie

M. Hédi Kasraoui, directeur de l’hôpital Ibn El Jazzar, nous confie que le budget de la pharmacie s’élève à 7 milliards 100.000D par an, dont 3 milliards 100.000 pour les médicament­s et le reste pour les accessoire­s et les produits chimiques, ce qui représente 40% du budget annuel de l’hôpital qui est, en 2018, de 16 milliards 700.000D «En outre, on se plaint d’un défaut de remboursem­ent de frais de médicament­s et autres opérations de soins à la charge de la Cnam, ce qui rend encore plus compliqués les soins de santé. D’ailleurs, on doit à la Cnam une somme de 1 milliard 500.000D en 2016 et la somme de 9 milliards en 2017, soit un total de 10 milliards 500.000D. Espérons que la PCT, qui passe par une situation difficile à cause de plusieurs facteurs et qui continue de fournir les médicament­s sans qu’elle soit payée en contrepart­ie, saura sortir de cette crise et verra le bout du tunnel avec l’aide de l’Etat…»

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