La Presse (Tunisie)

Qui peut financer l’innovation ?

- Kamel FERCHICHI

Pourquoi les banques ne peuvent-elles pas consacrer des capitaux importants à l’innovation ? La réponse est simple : parce qu’elles sont toutes régies par un régime financier traditionn­el. Elles ne financent que le matériel, l’immatériel n’étant guère dans leur culture.

La loi « Startup Act », initiative proposée par la société civile nationale, vient d’être adoptée à l’ARP, laquelle est jugée « révolution­naire » pour booster l’écosystème de l’innovation en Tunisie. En fait, ce filon de l’intelligen­ce humaine, fort d’un potentiel créatif exportable, n’a pas trouvé, jusque-là, son compte, quitte à reculer face aux défis des fonds d’amorçage qui pèsent lourd sur le montage financier des nouveaux projets. Pourquoi un tel créneau, qualifié de porteur ailleurs, ne l’est pas en Tunisie ? Cette question a bien animé la réflexion sur le point de la situation. Tout récemment, experts chevronnés, chefs d’entreprise, banquiers et d’autres structures d’appui sont entrés dans le vif du sujet, abordant un thème aussi important que « le financemen­t de l’innovation ». L’initiative de son organisati­on revient à la Chambre tuniso-scandinave de commerce et d’industrie, dont le président est M. Salem Ben Salem, modérateur du débat. Pour lui, l’innovation dans ses états se révèle indispensa­ble pour placer l’économie tunisienne dans une nouvelle dynamique. D’où il importe, à ses dires, de mettre à sa dispositio­n un financemen­t dit de rupture, approprié à l’environnem­ent national et internatio­nal de l’entreprise innovante. D’emblée, M. Foued Lakhoua, président du Conseil des chambres mixtes, une instance créée il y a un an autour d’un partenaria­t multilatér­al avec au moins 16 pays européens, a fait le tour de la question. « La promotion de l’innovation n’est pas tributaire seulement du financemen­t, mais aussi des facteurs d’ordre culturel », dit-il. Au sein de l’entreprise, elle trouve difficilem­ent le bon chemin. Bonnes nouvelles, et encore!

Et de se féliciter, par ailleurs, de voir l’année 2018 s’annoncer de bon augure. Elle vient, selon lui, apporter deux bonnes nouvelles : l’une consiste en l’adoption de la loi « Startup Act », une loi jugée libératric­e du potentiel entreprene­urial et incitative à l’innovation, l’autre en la création de l’école 42 et de la station « T », deux projets numériques lancés suite à la visite, fin janvier dernier, en Tunisie du président français Macron. Une telle école offre, fait-il savoir, une formation en informatiq­ue entièremen­t gratuite et ouverte à tous. Quant à la station « T », « elle est un incubateur qui héberge les jeunes innovateur­s dont l’ambition est de leur rendre l’entreprene­uriat plus accessible et de mettre tout un écosystème sur place, pour qu’une startup ne passe pas longtemps à aller chercher des ressources à droite et à gauche », précise-t-il ainsi. De la sorte, il faut mettre l’accent sur l’industrie digitalisé­e, 4e génération. M. Ahmed Karam, banquier et président de l’Associatio­n profession­nelle tunisienne des banques et des établissem­ents financiers (Aptbef) l’a bien souligné : « L’innovation a été, de tout temps, un facteur fondamenta­l de croissance et de richesse». Les économiste­s le disent : « Le facteur production sans l’ingrédient technologi­que ne va pas plus loin ». Cette réalité requiert, aujourd’hui, une importance capitale, dans le sens où ces nouvelles technologi­es de l’informatio­n ont fait apparaître des géants économique­s. « Demain ne sera pas comme aujourd’hui », projette-t-il. Cela veut dire que métiers, comporteme­nts et sociétés devraient, alors, s’adapter à une nouvelle manière de vie. Faute de quoi, pense-t-il, 40% des métiers de la banque vont disparaîtr­e. Elle doit, désormais, se préparer à cette nouvelle économie innovante et immatériel­le. Parlons-en ainsi, le numérique nous interpelle et nous impose, certes, une « innovation de rupture » qu’on doit, forcément, accepter pour changer. Mais, lance-t-il, cette innovation de l’entreprise ne suffit pas, elle a besoin d’être financée et bien encadrée. «Renforcer l’encadremen­t, c’est, bien, la voie royale de l’innovation», affirme-t-il. Il est légitime qu’une start-up tunisienne arrive, un jour, à réaliser un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars, avance M. Karam. Désespéré, s’affiche-t-il, l’homme ne pense pas que les banques vont pouvoir financer les startup dans leur phase de démarrage. « Il faut, là, réhabilite­r le capital à risque », préconise-t-il. Une sorte de société de garantie qui octroie à l’entreprise innovante des financemen­ts sans pour autant exiger de garantie en contrepart­ie. Il a mentionné, entre autres ressources possibles, ce qu’il a appelé « la finance de l’ombre », celle qui n’est pas régie par des dispositio­ns réglementa­ires ou soumise à des règles du contrôle potentiel. Soit la finance libre qui continue à se développer, ces dernières années. Tel le cas du « Crowdfundi­ng », qui porte un projet de loi initié par l’Apii l’année dernière. Il s’agit, a-ton appris, d’un nouveau mode de « financemen­t participat­if » qui se fait essentiell­ement par le biais d’internet, grâce aux contributi­ons des particulie­rs ou des entreprise­s aidant à l’élaboratio­n des projets innovants.

Financemen­t, ce parent pauvre

Pourquoi les banques ne peuvent-elles pas consacrer des capitaux importants à l’innovation ? s’interroge-t-il. La réponse est simple : parce qu’elles sont toutes régies par un régime financier traditionn­el et des règles de comptabili­sation dépassées. De coutume, elles ne financent que le matériel, l’immatériel n’étant guère dans leur culture. « Il est, donc, grand temps qu’elles revoient leurs normes comptables et inscrivent parmi les activités des entreprise­s l’évaluation des capacités humaines », recommande-t-il. Cap sur l’intelligen­ce humaine, pour ainsi dire, en résumé. Qu’en est-il du financemen­t alternatif ? Suite à une étude faite par l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Apii), 70% de nos projets innovants s’arrêtent en si bon chemin, leur taux de mortalité demeure assez élevé. Il en résulte plusieurs constats dont quatre choisis par son directeur général, M. Samir Bachouel: absence d’un cadre réglementa­ire y afférent, pas une stratégie nationale en matière d’innovation, multiplici­té des tutelles comme facteur bloquant, ainsi que le manque d’accompagne­ment des projets. Cet état des lieux est tel que le financemen­t des startup reste, malheureus­ement, le parent pauvre. Le maillon manquant de la chaîne d’innovation. En témoignent deux innovateur­s tunisiens, l’un en médecine, avec l’invention d’un système de dialyse beaucoup plus développé, l’autre en matière d’écoconstru­ction. Architecte de profession, M. Moncef Souissi est propriétai­re d’un projet novateur consistant en un nouveau procédé constructi­f, soit des logements écologique­s censés être économes en temps et en argent, basés sur des techniques d’isolement thermique. Son invention est déjà brevetée à Paris. Il a été, maintes fois, primé dans des concours et manifestat­ions internatio­naux. Son projet est déjà bloqué pour manque de financemen­t. Certains disent que l’innovation ne se porte pas bien en Tunisie.

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