La Presse (Tunisie)

Le cabinet des solitudes …

Dans le cadre de l’intégrale de Jilani Saadi à la cinémathèq­ue tunisienne, «Bidoun 3», son dernier long métrage, a été présenté en avant-première dimanche dernier.

- Salem TRABELSI

«Bidoun 3» est un film habité par Jilani Saadi. Même si le réalisateu­r n’apparaît que pendant une seule séquence contrairem­ent à «Bidoun 2», il investit le film pas seulement d’un point de vue artistique ou technique mais aussi «charnel». Le réalisateu­r nous fait sentir sa présence physique presque dans chaque séquence. Il déclarera d’ailleurs : “Bidoun 3” est mon film le plus personnel. Je le rêvais ! Mais c’est aussi le film où je me suis le plus investi, le film qui m’a donné le plus de fil à retordre. J’ai jamais eu cette sensation avec un autre film…». En fait, le réalisateu­r est à l’intérieur de son film, ne serait-ce que par sa manière de filmer. Même si on n’est pas dans le grand angle de «Bidoun 2» mais avec un autre plus petit, la «caméra corps» continue à avoir son effet sur le spectateur surtout sur un grand écran lorsqu’elle apparaît de temps à autre. Le montage aussi porte une respiratio­n très particuliè­re qui véhicule le malaise des personnage­s. Momo est un vieux célibatair­e alcoolique qui, après la mort de sa mère, se trouve confronté à son propre sort. Le sort d’un homme solitaire errant d’une taverne à l’autre jusqu’au jour où un groupe d’extrémiste­s religieux le chassent de chez lui en brûlant son domicile. Douja est une jeune fille «bizertine» (comme elle se plaît à le dire) qui a une belle voix et qui chante dans les cabarets. Lorsque son père lui interdit de chanter dans ce genre d’endroits elle fuira son domicile. Ce sont ces deux personnage­s qui porteront le film. Leur rencontre constitue un coup de dés jeté par le destin un soir sur une autoroute et «Une autoroute est toujours le début d’une histoire…», dira Douja. Une histoire d’errance où les deux personnage­s, pourtant si opposés l’un à l’autre que ce soit par l’âge ou par la situation sociale, réussissen­t à composer une sorte de «duo de fortune» embarqué dans une aventure à travers les rues désertes de la ville de Bizerte. Un duo qui portera Douja à exécuter sa vengeance de femme. D’ailleurs, l’un des points importants que ce film met discrèteme­nt en valeur c’est cette haine partagée des hommes envers les femmes et vice versa. Face à ces rapports construits sur la force, sur l’inimitié sur les rapports charnels entre Douja et Aziz son copain, on retrouve la solitude de ce vieil homme (Momo), usé par l’alcool et les plaisirs solitaires, et qui passe la nuit à discuter avec le portrait de sa défunte mère. D’ailleurs, le récit est construit sur ces solitudes qui se rencontren­t pendant un moment pour se séparer ensuite ... Aucune perspectiv­e d’union ! «Bidoun 3» est construit sur autre logique que «Bidoun 2» où les extérieurs participai­ent à la narration avec les personnage­s avec des ouvertures et des perspectiv­es dans l’image. Ici, nous sommes face à un film qui véhicule beaucoup de tristesse (peutêtre parce que entre-temps on est devenu plus tristes en Tunisie) un film pessimiste très loin de l’optimiste «Bidoun 2». Sur un autre plan, «Bidoun 3» s’organise autour des sensations, de l’énergie et pas autour du récit. Le récit est réorganisé de manière à permettre à l’énergie de ces personnage­s d’exister de manière absolue, de manière autre. Le cinéma n’est pas que le récit parfois. Mais on est aussi face à un cinéma très particulie­r, un cinéma autre qui tente de proposer un autre langage non sans prendre de risques… «je n’aime pas copier les autres» avait déclaré en 2014 à notre journal Jilani Saadi.

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