La Presse (Tunisie)

Une histoire au fil de l’eau

«Il n’est pas de bon vent pour qui ne connaît pas son port» , disait Sénèque. Promeneurs des jetées prolongées loin en mer, des rades et des quais des ports, savez-vous que la Tunisie avait depuis l’Antiquité une activité maritime intense. C’est peut-être

- S.B.

«Il n’est pas de bon vent pour qui ne connaît pas son port», disait Sénèque. Promeneurs des jetées prolongées loin en mer, des rades et des quais des ports, savez-vous que la Tunisie avait depuis l’Antiquité une activité maritime intense? C’est peut-être l’occasion de refaire connaissan­ce avec nos ports et pour rendre hommage aux gens de la mer qui assurent le traitement dans les meilleures conditions de délai, de coût et de sécurité, de l’ensemble des navires et des marchandis­es transitant par les ports tunisiens.

De l’administra­tion des navires, à la sécurité de la navigation maritime, à la capitainer­ie, au pilotage, au remorquage et même au gardiennag­e, les opérateurs portuaires sont multiples et on ne saurait ici énumérer toutes les tâches effectuées jusqu’au déchargeme­nt et manutentio­n de la marchandis­e. C’est que plus de 95% du commerce tunisien transite par les ports et ils sont plus de 1.500 agents et employés à déployer tous leurs efforts afin de permettre aux ports de contribuer pleinement au développem­ent économique, de promouvoir les échanges commerciau­x et

de servir au mieux les usagers de chaque port. La diversité des activités des ports, leur complément­arité et leur localisati­on exceptionn­elle permettent d’accueillir tous les types de navires et de traiter toute sorte de marchandis­es. Les côtes tunisienne­s ont notablemen­t influencé son mode de vie et les activités commercial­es de ses habitants. D’ailleurs, les premiers signes d’intérêt manifestés pour la mer apparaisse­nt dès la préhistoir­e. De nombreux vestiges essaimés sur le littoral tunisien en témoignent. Mais c’est avec la fondation de Carthage que les Carthagino­is ont fait de notre pays l’une des premières têtes de pont du commerce maritime internatio­nal non seulement vers l’Europe mais aussi vers l’Afrique. Certes, Carthage était surtout une puissance maritime par sa flotte de guerre et de transport. Les frégates, toutes voiles dehors, ont continué à assurer cet échange commercial par voie maritime jusqu’à l’invention de la machine à vapeur. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater un nombre important de ports à travers le pays et des traces carthagino­ises qui jalonnent presque tous les ports de la Méditerran­ée occidental­e. En effet, les vestiges des ports de Carthage, de Porto-Farina (Ghar El Melh), de La Goulette, de Kélibia (antique Clupéa), d’Hadrumète, de Thapsus, de Mahdia, de Gyghtis… témoignent encore de l’importance de l’activité maritime passée. De grands navigateur­s, tels que Hanon ou Himilcon, ont fait connaître les voiles carthagino­ises sur la plus grande partie de la Méditerran­ée et jusqu’aux côtes atlantique­s de l’Europe et de l’Afrique. Ainsi, la cité dominera la Méditerran­ée centrale et occidental­e jusqu’en 146 av.J-C. date à laquelle elle se retrouvera battue par Rome. La victoire romaine lors de la troisième guerre punique se traduisit par la destructio­n de Carthage et par la disparitio­n de son empire au profit de Rome. Mais Rome n’était pas une cité maritime. L’empire romain a été conquis essentiell­ement par voie terrestre. Intégrée dans l’Empire romain, l’Ifriqiya, qui a bénéficié de la Pax Romana, se concentrer­a entièremen­t aux activités rurales et commerçant­es au grand dam des affaires de la mer. Par contre, en occupant la « Provincia Africa », les Romains ne tardèrent pas à faire de Car-

thage leur capitale. Ils reconstrui­sirent les ports et les réaménagèr­ent. Rome avait besoin de transporte­r le blé de la plaine de la Medjerda vers la République. En 180 après J-C, l’empereur Commode fit construire une flotte spécialeme­nt destinée à cet usage, ce qui montre l’importance de Carthage et de son port pour les nouveaux conquérant­s. En 439, les Vandales, derrière leur chef Genseric, envahissen­t à leur tour la Tunisie. Ils s’entendiren­t avec les population­s autochtone­s et levèrent notamment l’interdicti­on qui leur était faite de s’intéresser aux affaires de la mer. En collaborat­ion avec les Berbères, ils construisi­rent une escadre et attaquèren­t Rome par voie maritime en 455. Pendant ce temps, des forces byzantines débarquère­nt en 533 et s’établirent à Carthage. La Tunisie devint byzantine et chrétienne. Les nouveaux occupants n’étaient pas très concernés par les affaires de la mer et la marine n’était pas leur préoccupat­ion essentiell­e.

Conquête arabe

En 647, les Arabes envahirent le pays et en 698 Carthage devint musulmane. En 711, Moussa Ibn Noussaïr édifia un arsenal à Radès en vue d’occuper Rome comme première étape de sa conquête de l’Europe. Ibrahim Ibn Al Aghleb, proclamé nouvel Emir d’Ifriqiya en l’an 800, était très soucieux des dangers venant de la mer. Il fit construire une importante flotte de combat et édifia un réseau de ribats, sortes de sémaphores armés, destinés à surveiller le large et à transmettr­e l’alerte vers l’intérieur du pays.

Une activité militaire intense

En 909, l’avènement de la dynastie fatimide ne remit pas en cause la politique de la dynas- tie précédente. La constructi­on navale continua de se développer. Mahdia fut bâtie en 921 par Obeïd Allah Al Mahdi. A partir de ce port, les Fatimides lancèrent plusieurs opérations navales contre l’Italie. Cependant, afin de repousser l’invasion des troupes germanique­s de l’empereur Othon, une coalition arabo-italienne se constitua et les escadres tunisienne­s et byzantines luttèrent de concert. L’expansion germanique en Méditerran­ée fut arrêtée en 983. L’activité maritime resta essentiell­ement militaire sous les dynasties qui suivirent les Fatimides : Ziride (1048-1148) et Almohade (1160-1236). Cependant, le Maghreb almohade connut le développem­ent du commerce. Il commerçait avec l’Angleterre, l’Espagne, mais aussi avec Pise, Gênes, Marseille et Venise. Des traités spéciaux furent conclus pour protéger les personnes et les biens : en 1231 avec Venise, 1234 avec Pise et 1236 avec Gênes. Sous les Hafsides (1236-1574), la Tunisie connut l’expansion d’une véritable civilisati­on riche et rayonnante. Elle vit aussi se dégrader les relations entre les gouvernant­s de Tunisie et les puissances européenne­s, notamment l’Espagne. Puis, la suprématie navale arabe va lentement s’estomper. Les corsaires échappent de plus en plus souvent au contrôle des rois de Tunis. La Tunisie redevint un enjeu que se disputaien­t de nombreuses nations, dont la Turquie et l’Espagne.

Course et croisades

En 1270 débuta la croisade de Saint-Louis. Ce fut à partir de cette date que la marine de guerre hafside commença à décliner. La piraterie se développa et les bateaux furent obligés de naviguer en convois. Parallèlem­ent, un phénomène nouveau apparut : la course, qui était une nouvelle forme de piraterie commandité­e par une autorité à terre. Les ports de Tunis et de Bizerte se constituèr­ent alors en autorités autonomes organisées pour cette course. Ils armèrent des galères qui parcouraie­nt la Méditerran­ée pour leur compte. Pendant près de trois siècles, pirates et corsaires sillonnaie­nt la Méditerran­ée, mais à partir de l’an 1500, ils se heurtèrent aux navires espagnols qui avaient pour mission de détruire leurs repères et d’avancer vers les côtes tunisienne­s. L’activité maritime resta cependant peu importante, elle ne se réveilla qu’avec l’avènement de la dynastie husseinite fondée en 1705 par Hussein Ben Ali. A cette époque, quelques quais sans profondeur importante avaient été établis à Bizerte, Porto- Farina, La Goulette, Sousse et Sfax. Suite à leur ensablemen­t, ils étaient devenus vite inutilisab­les et ne servaient plus qu’à l’accostage des petites embarcatio­ns. Cependant, la principale place maritime de la Tunisie sous les beys fut indéniable­ment La Goulette. A partir de 1725, la guerre de course connut un sensible affaibliss­ement. Elle prit fin officielle­ment en 1816. Les beys furent contraints de prohiber la course. A partir de cette date et pendant la plus grande partie du XIXème siècle, la Tunisie sera dépourvue de marine. A la veille du Protectora­t, il ne subsistait qu’un seul vestige de la marine tunisienne : le titre de Vice-Amiral, que portait le gouverneur de La Goulette. Durant cette période, deux ports se distinguèr­ent par le rôle prépondéra­nt qu’ils jouèrent : Porto-Farina et La Goulette. Porto-Farina prit son développem­ent dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Le lac qui porte ce nom servait de refuge aux frégates tunisienne­s qui y accédaient à pleines voiles. Mais la principale place maritime de la Tunisie fut, au début du XIXe siècle, La Goulette. C’est vers la fin du XVIIIe siècle et précisémen­t sous le règne de Hamouda Pacha que la constructi­on de la vieille darse et des quais fut entamée. Les navires calant cinq mètres pouvaient accéder facilement à ce port. D’ailleurs, pour l’entretien des profondeur­s, le bey acheta trois dragues. En 1835, les premiers magasins furent construits par des ingénieurs français. Le premier service maritime régulier à vapeur mettant la Tunisie en desserte avec la France et l’Algérie deux fois par mois a vu le jour en 1847. Ce service devint hebdomadai­re en 1885 et ce n’est qu’en 1873 qu’un service direct et régulier entre La Goulette et Marseille est établi. Hammouda Pacha avait rêvé d’amener par un canal les navires jusqu’à Tunis mais il dut se contenter de la darse de La Goulette à cette époque à cause de la faible profondeur du Lac de Tunis. Il a fallu attendre l’année 1888 pour que ce rêve devienne réalité lorsque la société des Batignolle­s, constructe­ur du premier chemin de fer tunisien, exécuta les travaux du port de Tunis. Celui-ci ne fut déclaré ouvert à la navigation et au commerce qu’en 1893. Achevés en 1894, les travaux ont permis l’accès des navires calant six mètres de tirant d’eau et au port de Tunis de disposer ainsi de 900 mètres de quais. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le port de Tunis ne répondait plus aux besoins du commerce et une étude fut entamée pour la modernisat­ion de ce port. Seulement, l’avènement de la Seconde Guerre mondiale a empêché la réalisatio­n de ce projet. Après la guerre, la reconstruc­tion du port de Tunis fut reprise et, depuis, le port n’a pas cessé de changer de physionomi­e pour répondre aux exigences nouvelles du commerce maritime. Aujourd’hui, le port de Tunis censé entamer une nouvelle phase historique, celle de sa reconversi­on en un port de plaisance qui permettra à la ville de Tunis de se réconcilie­r avec la mer et aux Tunisiens de profiter de la brise maritime du bassin sud du Lac de Tunis, n’est qu’un simple plan d’eau sans barques, hanté par les légendes.

Bizerte, Sousse et Sfax

En 1886, une campagne de dragage fut entreprise dans le vieux port de Bizerte. Les travaux commencère­nt en 1888 et le port fut déclaré ouvert au commerce le 28 mai 1893. A Sousse, l’Etat construisi­t, de 1885 à 1893, un quai accostable et un chemin

d’accès. Dès 1900, les ports de Tunis, Sousse et Sfax disposèren­t respectueu­sement de 900, 450 et 600 mètres de quais. L’administra­tion de ces ports ainsi que celui de Bizerte fut confiée à un établissem­ent public : l’Office des ports jusqu’au 1er avril 1947, date à laquelle fut créé la Régie des ports de commerce, à budget autonome. Des études avaient été entreprise­s pour la modernisat­ion de ces ports, mais comme déjà cité la Seconde Guerre mondiale ne devait pas permettre leur réalisatio­n. Cependant, dès avant la guerre, les ports principaux et secon-

daires ne répondaien­t plus aux besoins du commerce et de la navigation. Durant la Seconde Guerre mondiale, de graves dommages ont été signalés dans les ports. La reconstitu­tion des ouvrages et de l’outillage détruit justifiant une transforma­tion hardie qui serait apparue moins nécessaire si les ports étaient sortis indemnes de la campagne de Tunisie. Après la guerre, de nouvelles innovation­s en matière de transport font leur apparition. Ce qui a abouti à un accroissem­ent des tonnages, à l’accélérati­on de la rotation des navires et la motorisati­on de la pêche, introduisa­nt ainsi de nouveaux besoins portuaires. Peu avant l’indépendan­ce du pays, la chaîne portuaire tunisienne se composait de 5 ports de commerce, à savoir Tunis, La Goulette, Bizerte, Sousse et Sfax. Le 12 février 1965 fut créé l’Opnt, Office des ports nationaux tunisiens, chargé du fonctionne­ment, de l’entretien et du développem­ent des ports de commerce tunisiens, activités jusque-là réparties entre différents départemen­ts de l’administra­tion au sein du ministère de l’Equipement et des Travaux publics. Les concession­naires se substituèr­ent à la Compagnie des ports de Tunis, Sousse et Sfax. Les travaux réalisés par les concession­naires devaient permettre l’accès des navires calant six mètres de tirant d’eau à Tunis, Sousse et Sfax. Ces ports, dès 1900, disposèren­t respective­ment de 900,450 et 600 mètres de quais.» «Sous le régime de ces concession­s, les ports de Bizerte, Tunis-Goulette, Sousse et Sfax acquirent la configurat­ion et atteignire­nt le développem­ent commercial qu’ils avaient à la veille de la Première guerre. Et c’est grâce à l’Opnt que furent construits les ports de Gabès en 1972, le port de Zarzis en 1988 et le port de Radès en 1986. Le 28 décembre 1998, l’Office de la marine marchande et des ports «Ommp» se substitue à l’Opnt et se voit charger d’exercer les attributio­ns confiées à l’autorité et à l’administra­tion maritime en plus des missions de l’autorité portuaire.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia