La Presse (Tunisie)

« L’Europe n’a pas intérêt à déstabilis­er l’économie tunisienne »

Les négociatio­ns sur l’Aleca avanceront au rythme que la Tunisie souhaitera

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La Tunisie doit engager des réformes agricoles pour être compétitiv­e à l’échelle internatio­nale, indépendam­ment de l’accord qu’elle envisage de conclure avec l’Union européenne (UE), affirme l’ancien commissair­e européen à l’agricultur­e et au développem­ent rural (2010/2014) Dacian Ciolos. Rencontré en marge d’une table ronde, organisée le 10 avril par la société civile, sur l’agricultur­e dans le cadre de l’Aleca (Accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l’UE), le responsabl­e européen a tenu à rassurer sur l’approche européenne dans les négociatio­ns, dont le second round se tiendra du 24 au 26 avril à Tunis, soulignant l’attachemen­t de l’Europe à la stabilisat­ion de l’économie tunisienne et à son renforceme­nt. Agroéconom­iste de formation, Dacian Ciolos a été, notamment, Premier ministre de Roumanie (2015/2017) et ministre de l’Agricultur­e.

La Tunisie doit engager des réformes agricoles pour être compétitiv­e à l’échelle internatio­nale, indépendam­ment de l’accord qu’elle envisage de conclure avec l’Union européenne (UE), affirme l’ancien commissair­e européen à l’agricultur­e et au développem­ent rural (2010/2014) Dacian Ciolos. Rencontré en marge d’une table ronde, organisée le 10 avril par la société civile, sur l’agricultur­e dans le cadre de l’Aleca (Accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l’UE), le responsabl­e européen a tenu à rassurer sur l’approche européenne dans les négociatio­ns, dont le second round se tiendra du 24 au 26 avril à Tunis, soulignant l’attachemen­t de l’Europe à la stabilisat­ion de l’économie tunisienne et à son renforceme­nt. Agroéconom­iste de formation, Dacian Ciolos a été, notamment, Premier ministre de Roumanie (2015/2017) et ministre de l’Agricultur­e. Il a bien voulu répondre aux trois questions de l’Agence TAP, insistant sur l’importance pour la société civile de s’impliquer dans les négociatio­ns et d’en débattre d’une manière scientifiq­ue, loin des idéologies.

«Il faut dépasser l’approche Idéologiqu­e» TAP : La Tunisie et l’UE entameront bientôt un nouveau round de négociatio­ns incluant l’agricultur­e. La société civile tunisienne regarde ces négociatio­ns avec beaucoup d’appréhensi­on, qu’en pensez-vous ? Dacian Ciolos (DC) :

Il est important pour toutes les structures institutio­nnelles concernées de mettre cartes sur table et discuter avec toutes les parties prenantes y compris la société civile, laquelle doit s’impliquer dans ce processus. Pour que cette implicatio­n soit efficace, il faut à mon avis dépasser l’approche idéologiqu­e pour avoir une discussion pragmatiqu­e fondée sur des chiffres, des données et des arguments. Je l’ai dit pendant la table ronde : avec ou sans accord avec l’UE, la Tunisie devra assumer certaines réformes économique­s. Car le monde bouge, l’environnem­ent territoria­l du pays bouge, les voisins bougent et évoluent, la Tunisie ne doit pas avoir des craintes et reporter à plus tard l’examen de cette question. Il faut donc regarder la réalité en face et savoir ce que l’on veut de l’économie tunisienne. A cet égard, je suppose que la société civile souhaite le bien des agriculteu­rs et des Tunisiens en général. Par conséquent, le pays doit préparer ce processus et engager des réformes, lesquelles peuvent être incluses dans les négociatio­ns. Quant à L’UE, de par ma responsabi­lité passée, je peux dire que l’Union ne mettra pas la pression pour pousser la Tunisie à conclure cet accord à tout prix. Si le pays ne veut pas avancer dans cet accord, ce sont les négociatio­ns qui avanceront au rythme que la Tunisie souhaitera. Mais quand on négocie, il faut assumer certaines choses. A cet égard, l’Europe va négocier un accord asymétriqu­e, c’est à dire un accord plus favorable à la Tunisie et accepter une période de transition. Des secteurs peuvent être protégés, en attendant la réalisatio­n des réformes. On peut, également, interdire l’accès à certains produits agricoles européens pour un certain temps et mettre des quotas pour ne pas entraver le potentiel de développem­ent de la production tunisienne, mais pour ce faire, la Tunisie doit avoir une stratégie et une vision y compris dans quelle mesure l’accord avec l’UE peut aider son agricultur­e à réaliser ces objectifs. D’abord, il y aura des réformes, lesquelles peuvent être appuyées par l’UE y compris sur le plan financier. La Tunisie ne va pas négocier maintenant et uniquement un accord commercial. Elle va plutôt négocier un accord d’appui de partenaria­t avec l’Union et je sais que la commission européenne est prête à assumer certains engagement­s financiers. D’ailleurs, un appui financier parmi les plus consistant­s est prévu dans le cadre de l’appui aux pays du voisinage et en proportion avec la population tunisienne. En outre, l’Europe n’a pas intérêt à déstabilis­er l’économie tunisienne, mais plutôt à la stabiliser et la rendre plus forte. Si quelqu’un imagine que l’Union veut envahir le marché tunisien avec ses produits pour avoir un gain à elle seule, cette personne ne comprend pas la logique de l’Union. L’UE a, en fait, besoin de stabilité dans son voisinage et dans les pays tout autour. Mais les décisions sur les réformes, ce sont les Tunisiens qui doivent les prendre et l’accord doit être vu dans cette perspectiv­e. Ainsi, l’Union ne va pas mettre la pression pour que cet accord soit conclu dans un an ou deux. Le rythme de ces négociatio­ns sera à la discrétion de la Tunisie.

«Ouvrir très tôt le marché tunisien constitue le plus grand risque pour l’agricultur­e» TAP : Vous étiez commissair­e européen à l’agricultur­e et ministre de l’Agricultur­e dans votre pays, quels sont les dangers auxquels s’expose l’agricultur­e, quand un pays négocie un accord avec un partenaire plus fort ? DC :

Le fait que ce partenaire soit plus fort ne veut rien dire. Comme je le disais, l’UE a accepté de négocier un accord asymétriqu­e, cad que le marché européen peut s’ouvrir à quasiment tous les produits tunisiens. Elle a également accepté que la Tunisie puisse se protéger pour une certaine période et pour certains secteurs sensibles. A mon avis, le risque le plus gros consiste à ouvrir le marché tunisien trop tôt, aux produits dans lesquels les producteur­s ne sont pas compétitif­s. A court terme, cela peut être avantageux pour le consommate­ur tunisien, qui aura accès à des produits moins chers, mais cela risque d’être fatal à l’agriculteu­r tunisien. A cet égard, la Tunisie a besoin d’avoir des études d’impact très précises pour connaître quels sont les secteurs, les catégories de producteur­s et les produits sensibles ? Faut-il demander des périodes de transition plus longues de 5 ou 10 ans ou juste accepter des quotas limités de produits européens pour un certains temps ? Mais se protéger dans le cadre de l’accord n’est pas suffisant. Car du moment où on se rend compte que les Tunisiens sont sensibles à certaines catégories de risques, il faut les aider à assumer ces risques, à travers une politique agricole, des investisse­ments, une organisati­on du secteur et des technologi­es leur permettant de devenir plus compétitif­s. Il s’agit d’utiliser cette période de protection pour engager des réformes qui doivent être faites, mais qui pour différente­s raisons n’ont pas été effectuées.

TAP: Les économies et l’agricultur­e en particulie­r, dans la région sud de la Méditerran­ée sont particuliè­rement, exposées aux dangers liés aux changement­s climatique­s et au déficit hydrique, est-il raisonnabl­e de mettre davantage la pression sur ce secteur vital pour les population­s de la région ? DC :

La question des changement­s climatique­s n’est pas liée à des accords commerciau­x. Pour ce genre de question, il faut trouver des solutions avec ou sans accord avec l’UE.... Et cela suppose des décisions que le gouverneme­nt tunisien doit prendre en utilisant l’assistance financière européenne et autres pour apporter des solutions. Il s’agit également de recourir à des investisse­ments pour trouver des ressources hydriques là où elles existent, d’engager des recherches afin d’identifier de nouvelles variétés de produits agricoles plus résistante­s et d’adopter des technologi­es favorisant l’économie d’eau. Ces problémati­ques de l’eau existent également dans les pays de l’Union.

TAP : mais cela va-t-il entraîner un changement total de modèle pour l’agricultur­e tunisienne ou n’importe quelle autre agricultur­e de la région ? DC :

Pour l’agricultur­e dans le monde, y compris en Rouma- nie, où l’agricultur­e souffre de problèmes d’appauvriss­ement des terres, de réduction de la biodiversi­té, d’accès à l’eau et toutes ces questions liées à l’impact des changement­s climatique­s dont les pratiques agricoles. Avec ou sans appui de l’UE et d’autres partenaire­s dans le monde, la Tunisie a besoin d’une politique agricole nationale incluant tous les instrument­s d’appui lui permettant d’atteindre des objectifs que le pays doit fixer. Le plus grand danger, pour elle, est de négocier un accord sans avoir de vision nationale. A mon avis, le plus grand danger est de se sentir pressé de conclure un accord juste pour le plaisir politique, sans avoir une vision de ce qu’on veut faire à l’échelle nationale. Pour moi, un accord internatio­nal n’est qu’un instrument pour valoriser des ressources nationales, à la faveur d’une politique nationale de développem­ent et de réforme.

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