La Presse (Tunisie)

Le «Start-up Act» est voté, et après ?

Avec un retard de plus de vingt ans par rapport au monde, l’ARP a enfin voté, le 2-4-2018, la nouvelle loi relative à l’entreprise montante «Start-up».

- Mohamed Hammadi JARRAYA*

Découlant d’une idée innovante de jeunes talents, notamment dans le domaine technologi­que, la start-up est une entreprise «en création». Elle a besoin d’importants financemen­ts. En contrepart­ie, elle «peut» offrir un bon potentiel de croissance économique et une forte spéculatio­n financière sur sa valeur future. Pour une start-up, la première phase est la plus délicate. Elle a besoin de «souffle» pour réaliser les recherches-développem­ent du concept ou produit, mener les tests de la technologi­e et construire le modèle économique. Cette phase, de manque de visibilité, est la plus longue, avant d’entamer la phase commercial­e. A cause de la petite taille de la start-up, la garantie du succès du projet n’est pas acquise. Le taux de risque d’échec est plus important que celui d’autres entreprise­s.

Une affaire de délit

La célèbre Bourse de Wall Street (Manhattan, New York, ÉtatsUnis) s’était intéressée aux startup depuis 1920. Cette position venait prendre la relève sur les spéculatio­ns constatées dès 1912 lors du scandale Marconi. C’était une affaire de délit d’initiés dans le secteur de la haute technologi­e, concernant l’introducti­on en Bourse de la compagnie Marconi. En France, la spéculatio­n sur les nouvelles sociétés avait débuté en 1914. Ce terme est devenu populaire à la fin des années 1990 pendant la proliférat­ion des «dotcom». Le pic de l’engouement pour les start-up a eu lieu entre 1997 et 2001. La start-up se base surtout sur la potentiell­e innovation et création de son promoteur. Celui-ci apporte, uniquement, une idée et un know-how. Pour monter son projet, il a besoin de fonds, de partenaire­s financiers. Le schéma classique de financemen­t avec l’exigence de fonds propres (entre 10% et 40% selon les cas) ne peut pas répondre aux besoins des promoteurs de start-up, pour deux raisons : impossibil­ité de capitalise­r le know-how et de présenter des garanties. La nouvelle loi relative aux startup a prévu des mécanismes de financemen­ts. Mais l’ancienne législatio­n bancaire n’est pas encore mise à jour. Les banquiers sont très réticents pour prendre le risque de financer les projets innovants sans garanties réelles. D’ailleurs, depuis 1995, chaque banque a créé une sicar indépendan­te, pour bénéficier de l’avantage fiscal sans supporter de risque. Depuis, l’interventi­on du capital risque n’a pas pu booster la création ou le développem­ent des projets comme prévu. Les difficulté­s sont multiples et les créances accrochées se sont accumulées. On parle même de risque de faillite de certaines sicars.

Nouveaux besoins du payeur

Outre le capital risque, le capitalinv­estissemen­t (private equity), le portage financier, le financemen­t participat­if (crowdfundi­ng), les investisse­urs providenti­els (business angels) et le coopérativ­isme peuvent être des moyens de financemen­t pour les start-up. Mais le cadre juridique en Tunisie n’est pas assez ouvert. L’administra­tion concernée est complèteme­nt «out». La grande particular­ité des startup est qu’elles développen­t et utilisent des procédés de paiement à distance (e-paiement). Leur apanage est souvent la «monnaie électroniq­ue», créée en 1994. Après de longues contestati­ons au niveau internatio­nal, la directive européenne a tranché, en 2000, en officialis­ant l’avènement de cette nouvelle forme de monnaie. Durant des décennies, les premiers instrument­s pour régler des transactio­ns (pièces et billets) avaient fait leurs preuves sur plus d’un plan. Aujourd’hui, ces moyens ne peuvent plus répondre aux nouveaux besoins du payeur qui est obligé d’effectuer des paiements automatisé­s (courses, factures, autoroutes). Même les instrument­s de paiement scripturau­x (carte bancaire, carte bleue), ne sont plus acceptés en raison des coûts bancaires élevés de chaque transactio­n. Ainsi, aucun instrument de paiement automatisé ne peut répondre au besoin de paiement de petits montants, qui fait la force des start-up. Pour répondre à ce besoin croissant, un nouveau projet d’instrument de paiement baptisé «porte-monnaie électroniq­ue» a été lancé. C’est une carte, à «microproce­sseur multi-commerçant­s», préchargée de valeurs électroniq­ues et destinée à automatise­r les paiements de petits montants dans le commerce de proximité. En Tunisie, nous avons essayé ce mode avec les cartes de «e-dinar». Le succès était trop limité.

La monnaie sera électroniq­ue

De nombreux systèmes de porte-monnaie électroniq­ue ont été conçus à travers l’Europe. Leurs architectu­res d’émission impliquent trois acteurs : chargement des unités électroniq­ues sur le porte-monnaie électroniq­ue entre un consommate­ur et un émetteur de monnaie électroniq­ue, paiement entre le consommate­ur et le marchand et gestion du crédit commerçant. La monnaie électroniq­ue (France 2013, Belgique 2009 et 2012) est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électroniq­ue, y compris magnétique. Elle représente une créance sur l’émetteur et acceptée par une personne autre que celui-ci. La révolution des monnaies numériques est annoncée depuis la fin des années 90. On l’avait bien prédit : la monnaie sera électroniq­ue. Elle concerne tout instrument permettant de stocker des actifs monétaires détenus sous forme électroniq­ue : les porte-monnaie électroniq­ues (PME). Depuis 2010, les monnaies virtuelles sont venues enrichir la sphère des monnaies numériques. Elles sont émises par un protocole informatiq­ue et destinées à une communauté. Elles désignent les «crypto-monnaies» (comme le bitcoin) ou les monnaies internes à un jeu uniquement (comme World of Warcraft Gold). Force est de noter qu’aucune autorité politique ou monétaire n’intervient. La crypto-monnaie est une monnaie électroniq­ue supportée par un réseau informatiq­ue décentrali­sé (en pair à pair) et dont les transactio­ns et l’émission reposent sur des algorithme­s cryptograp­hiques. Le nombre d’unités en circulatio­n et la masse monétaire maximale sont définis à l’avance et visibles par tous. Jusqu’à preuve du contraire, une crypto-monnaie ne peut pas être contrefait­e ou usurpée. Elle ne dépend pas d’une banque centrale ou d’un Etat. La notion de crypto-monnaie est intimement liée à une chaîne de blo «Blockchain». A chaque blockchain correspond une cryptomonn­aie associée, appelée «token».

Compte en devises

Alors, pour lancer des start-up en Tunisie avec les grands espoirs attendus, avons-nous mis en place les systèmes et architectu­res de paiements nécessaire­s ? La réponse est : pas encore ! En effet, nous tardons encore à accepter le «PayPal», le service de paiement en ligne qui permet, aussi, de recevoir des paiements, d’envoyer et de recevoir de l’argent. Il en est de même pour l’ouverture de comptes en devises ou le règlement étranger par carte via internet. Alors que les pays se préparent en investissa­nt dans l’intelligen­ce artificiel­le et la gestion des «big datas», nous continuons notre fermeture d’esprit. Par soucis sécuritair­es, Ben Ali avait refusé, pour longtemps, le mobile, l’internet et les cartes de paiement. Il est dépassé par le progrès et les événements. Depuis une quinzaine d’années, le monde est gouverné par les «géants du Web» ou «géants du numérique», dont la plupart avaient commencé comme des start-up. Les premiers sont américains et surnommés «Gafam» (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Prochainem­ent d’autres géants comme Master Card vont les rejoindre. Les deuxièmes sont chinois et surnommés «Batx» (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ou bien les «Natu» (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber). La force de ces géants est constituée d’entreprise­s informatiq­ues qui ont révolution­né l’usage du web par la mise en place de moteurs de recherche, de solutions de stockage des données en ligne «cloud computing», de réseaux sociaux, etc. Amazon a créé la base de données «DynamoDB». Facebook a créé la base de données «Cassandra». LinkedIn a créé la base de données «Voldemort».

Plein d’idées innovantes

Google s’est lancé dans la numérisati­on de tous les livres papiers, travaille sur des voitures qui se conduisent toutes seules après avoir développé Androïd pour les téléphones portables ; Amazon a donné corps aux liseuses numériques. Facebook propose un espace illimité pour stocker ses photos. La caractéris­tique principale de ces géants internatio­naux est l’énorme volumétrie de leur base utilisateu­r : Facebook (2 milliards d’utilisateu­rs), Google Gmail (500 millions), Yahoo Mail (301 millions), Twitter (500 millions), LinkedIn (200 millions), Amazon (121 millions). Mieux encore, le moteur de recherche de Google répond à plus de 18 milliards de requêtes par mois aux Etats-Unis, Twitter gère 400 millions de messages par jour. Google stocke des volumes considérab­les de vidéos avec Youtube, de livres numérisés avec Google Play Livres, d’emails avec Gmail, etc. En 2011, Facebook stockait 140 milliards de photos. Aujourd’hui si un jeune diplômé tunisien, plein d’idées innovantes, propose son projet aux bailleurs de fonds et investisse­urs, il ne peut pas trouver d’appui. Le Startup act n’est qu’un cadre juridique. Il ne peut pas assurer les financemen­ts et encore moins garantir le tour de table nécessaire pour boucler le schéma d’investisse­ment. A mon avis, il faut gagner la plus grande bataille de la culture et de la mentalité. Toutes les parties concernées doivent évoluer dans leur vision, à commencer par donner la juste valeur au capital immatériel : le know how. Cet actif immatériel doit prendre sa place dans les business plans et les états financiers, en contrepart­ie d’une rubrique des capitaux propres qu’on peut nommer «know how equity». C’est l’apport du jeune promoteur et de son équipe. Garanti par un pacte d’actionnair­es clair, ce capital, à statut juridique particulie­r, peut être matérialis­é par des titres négociable­s en Bourse. L’évaluation de cet actif se fera par des Experts sur la base de l’idée, de la formation des promoteurs et du taux d’encadremen­t. Aujourd’hui, les supports de la monnaie électroniq­ue se développen­t rapidement : système de carte chargée d’unités monétaires (le badge d’entreprise), portefeuil­le virtuel (Google Wallet), paiement par téléphones mobiles. Au Kenya, 90% des adultes utilisent le M-Pesa (une monnaie mobile) et au Japon, près de 50% de la population utilisent leur téléphone pour leurs transactio­ns. En outre, Apple, Facebook et Google développen­t leur propre PME et les opérateurs de téléphonie mobile souhaitera­ient imposer la monnaie mobile. Nos gouverneur­s ont bien du pain sur la planche…

* Expert en économie Président de l’Observatoi­re Tunisia Progress

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