Bientôt l’adieu à l’enseignement public ?
• La situation est toujours au point mort. L’année scolaire est menacée. La grogne populaire prend à partie autant les syndicalistes que le gouvernement. Et la mécanique du pourrissement subsiste. • Désormais, les parents considèrent que les élèves sont
• La situation est toujours au point mort. L’année scolaire est menacée. La grogne populaire prend à partie autant les syndicalistes que le gouvernement. Et la mécanique du pourrissement subsiste.
• Désormais, les parents considèrent que les élèves sont pris en otage par les syndicalistes. Et pour cause, une année blanche équivaudrait au redoublement de deux millions d’élèves. Toutes les familles tunisiennes sont concernées. La grogne monte et tout peut arriver.
Ça y est, le ver est déjà dans le fruit. La menace d’une année scolaire blanche se précise. Dès mardi prochain, arrêt complet des cours de la part des professeurs. Leurs structures syndicales en ont décidé ainsi. Jusqu’ici, on se contentait de ne pas communiquer les résultats du premier semestre. Mais là, c’est un cran au-dessus. Le baccalauréat sport n’aura probablement pas lieu. Le baccalauréat dans son ensemble est menacé, à l’instar de toute l’année scolaire. Les dirigeants syndicaux des professeurs du secondaire particulièrement s’en soucient comme d’une guigne. Ils le font savoir de la manière la plus explicite et brutale qui soit. Depuis quelque temps, certains syndicalistes ne font plus dans la dentelle. Leur attitude est tranchée, leur discours tranchant. Le secrétaire général de l’Ugtt, Noureddine Taboubi, et les membres du bureau exécutif de la centrale syndicale, les regardent et les laissent faire, avec condescendance. Pourtant, il y a un peu plus d’une année, les rapports entre le secrétaire général et le dirigeant des syndicats du secondaire, Lassâad Yacoubi, étaient à couteaux tirés. Ils s’étaient confrontés dans deux listes qui se sont âprement disputées lors du dernier congrès de l’Ugtt. Noureddine Taboubi les avait battus de plate couture, en remportant la totalité des treize sièges du bureau exécutif. Entre-temps, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Après avoir soutenu le gouvernement tous azimuts, Noureddine Taboubi a changé le fusil d’épaule. Il exige un remaniement ministériel total en bonne et due forme. Et affiche depuis une sympathie non déguisée à l’endroit de la fédération de l’enseignement secondaire. Les citoyens, eux, font montre d’un ras- le- bol à toute épreuve. Les Tunisiens n’acceptent jamais qu’on touche à leurs enfants et à leurs études, de quelque manière que ce soit. Aux pires moments des soubresauts de la révolution, les études et les examens semestriels et annuels ont toujours fonctionné. Désormais, les parents considèrent que les élèves sont pris en otage par les syndicalistes. Et pour cause, une année blanche équivaudrait au redoublement de deux millions d’élèves. Toutes les familles tunisiennes sont concernées. La grogne monte et tout peut arriver. L’image du syndicalisme et l’image fondatrice de l’Ugtt depuis des décennies sont profondément écornées. La blogosphère traduit ce malaise. Les professeurs, eux, se calfeutrent dans le corporatisme. Le gouvernement est, lui aussi, pris à partie par l’opinion pour son laxisme. On exige le sauvetage de l’année scolaire, par-delà les différends de politique politicienne. Les syndicalistes font valoir des accords signés du temps où Taïeb Baccouche était ministre de l’Education. Pour le gouvernement, cela se chiffrerait par quelque sept-cent milliards de millimes. Impensable en l’état actuel de l’économie et des finances saignées à blanc, font valoir les hauts responsables. L’opinion considère qu’en sacrifiant, l’année dernière, le ministre de l’Education, Néji Jalloul, selon le bon vouloir des syndicalistes, le gouvernement a ouvert la voie aux surenchères. Dès lors, les rapports sont viciés, objet de levées de boucliers périodiques où celui qui crie le plus pense avoir toujours raison, sans égards à la légitimité réelle de ses revendications. La semaine dernière, l’actualité a connu, encore une fois, ses hauts et ses bas, l’Ugtt avait boycotté la conférence sur les grandes réformes économiques orga- nisée par le gouvernement. Noureddine Taboubi l’avait annoncé haut et fort. En fin de semaine, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et le secrétaire général de l’Ugtt s’étaient rencontrés. Atmosphère bon enfant, dit-on du côté de La Kasba. Oui mais, au-delà des salamalecs et formules de politesse, point d’annonce majeure au sujet de quelque accord. Au bout du compte, on fait du surplace. La situation est toujours au point mort. L’année scolaire est menacée. La grogne populaire prend à partie autant les syndicalistes que le gouvernement. Et la mécanique du pourrissement subsiste. Des deux bords, on campe des attitudes fermées, à la limite du solipsisme. Les observateurs craignent que ce soit le coup de maillet porté à l’enseignement public sous nos cieux. Les gens préfèrent de plus en plus arrimer leurs enfants à l’enseignement privé. Du coup, le modèle tunisien dans son ensemble est menacé. Adieu l’ascenseur social, adieu l’enseignement gratuit pour tous. Adieu la classe moyenne et l’égalité des chances. On passera désormais au système des castes fermées. Les enfants des riches pourraient étudier, ceux de la classe moyenne sombreront avec leurs parents et ceux des pauvres seraient confinés à la case des éternels laisséspour-compte. Il faut reconnaître que les professeurs dans leur ensemble ne boycottent pour autant pas les études payantes supplétives et autres cours à domicile. Certains d’entre eux font des rallonges de fin de mois dans le secteur privé. Telle est la logique du corporatisme. Chacun pour soi et après moi le déluge. Mais ce dernier n’épargne généralement personne. Et il est des séquences historiques où les héros du jour finissent par passer eux aussi à la caisse. Ou à la casse.