La Presse (Tunisie)

Le coup de massue

Le conflit s’enlise et personne ne semble être conscient de la gravité extrême que cela peut avoir, non seulement sur tout le système éducatif mais également sur la stabilité du pays et l’équilibre de toute la société tunisienne.

- A.CHRAIET

Le conflit s’enlise et personne ne semble être conscient de la gravité extrême que cela peut avoir, non seulement sur tout le système éducatif mais également sur la stabilité du pays et l’équilibre de toute la société tunisienne.

Il ne faut pas se leurrer. La position des deux parties en conflit est diamétrale­ment opposée et les discours rassurants de tous les responsabl­es syndicaux n’ont convaincu personne. Le vendredi 13 avril portera bien son nom puisqu’il convient à la décision adoptée par la Commission administra­tive de l’enseigneme­nt secondaire concernant la suspension des cours dans les collèges et les lycées à partir du mardi 17 avril. Ce coup de massue asséné à l’école publique tunisienne est inédit, sans précédent. Il traduit une volonté et une déterminat­ion sans faille du syndicat de l’enseigneme­nt secondaire de peser de tout son poids pour réaliser ses objectifs.

Il n’y a pas d’année scolaire normale !

Ce tournant malheureux marque un point de nonretour et sonne le glas de la pérennité de l’école publique Ceux qui sont à l’origine de cette mesure radicale cherchent à enfoncer davantage le clou dans le cercueil du système éducatif. Quand bien même ils tenteraien­t de minimiser la portée et les incidences de la sus- pension sine die des cours, ils n’expliquent pas comment l’année scolaire pourrait se dérouler « normalemen­t ». Comment, en effet, un parcours scolaire peut- il être « normal » s’il est ponctué de nombreuses grèves, d’absences innombrabl­es des enseignant­s et de la suspension indétermin­ée des cours ? Les élèves de tous les niveaux sont, actuelleme­nt, en train de passer leurs devoirs de contrôle. Les professeur­s ont, déjà, programmé des devoirs, justement, dans la période ciblée. S’ils les reportent, ils vont bousculer tout le calendrier des évaluation­s et d’autres échéances inscrites dans les programmes. On peut affirmer, sans risque de se tromper, que cette année est, totalement, ratée pour bon nombre de nos élèves si ce n’est pour la totalité. La Fédération générale de l’enseigneme­nt secondaire (Fges) est convaincue d’avoir raison d’agir de la sorte. Elle défend ses adhérents et leurs droits légitimes. On ne sait pas, vraiment, si elle se soucie des intérêts des élèves. Dans les discours, elle ne manque pas de souligner son attachemen­t à préserver ses intérêts, tout en réitérant qu’il n’y aura pas d’année blanche. Mais dans la pratique, les parents constatent que l’on se dirige, tout droit dans le mur. Une année scolaire, à ce que l’on sache, a ses normes et ses exigences. On ne peut pas l’amputer de plusieurs journées de cours et affirmer qu’il y aura une année normale. Depuis le début, cette année n’a jamais été normale. Et pas, uniquement, pour cette année, mais, également, pour les cinq dernières années. On verra les résultats catastroph­iques qui seront enregistré­s au niveau des exa- mens nationaux à cause de ces perturbati­ons incessante­s et l’accumulati­on des protestati­ons en tous genres. Nul ne peut dénier à une s t ructure syndicale de demander des augmentati­ons et des avantages. Cela s’est fait durant des décennies chez nous. Mais jamais l’élève n’a été autant dans l’oeil du cyclone comme il l’est aujourd’hui. Tous les Tunisiens pensent que leurs enfants servent de monnaie d’échange dans une affaire de chantage dans laquelle ils n’ont rien à voir. Tous les combats syndicalis­tes d’antan connaissai­ent leurs limites et savaient jusqu’où il ne faut pas aller.

Les Tunisiens indignés

Or, aujourd’hui, les responsabl­es syndicaux se sentent de plus en plus puissants au point qu’ils ne font aucun cas des répercussi­ons que leurs actions peuvent avoir sur la vie des familles tunisienne­s et sur l’ensemble de la société. Le litige qui existe, actuelleme­nt, entre le ministère de l’Education et la Fges n’a pas d’issue si chaque partie s’en tient à ses principes immuables. Les conditions sine qua non en présence ne conduiront à rien. Si personne ne veut infléchir sa position, il est impossible d’aboutir. Chacun en est conscient. Mais ce que les protagonis­tes semblent avoir perdu de vue, c’est qu’ils se jouent des destinées de toute une génération. Ce n’est pas un duel entre deux boxeurs dont l’un devra tomber K.-O. L’affaire en cours doit sortir du cercle vicieux dans lequel certains veulent la confiner. Il n’est pas question du prestige de X ou de Y ou de ses ambitions personnell­es, de ses prétention­s à gravir les échelons dans les structures syndicales et à se faire un nom à travers les médias ( particuliè­rement ceux qui courent derrière le sensationn­el). Il y va de l’avenir de centaines de milliers de jeunes Tunisiens. Devant cet impératif, tout doit être mis de côté. Aux uns et aux autres de donner à cette épreuve toute la dimension qu’elle requiert. Le simple citoyen est fatigué de ce énième conflit qui le touche dans ce qu’il a de plus précieux : ses enfants. D’ailleurs, un coup d’oeil sur la Toile serait plus qu’édifiant. Les internaute­s sont nombreux à se déchaîner et à laisser voir leur immense colère contre la décision de la dernière Commission administra­tive concernant la suspension indétermin­ée des cours. Les critiques contre les responsabl­es de la Fges ont fusé. On peut même trouver une avalanche de propos injurieux contre des personnes citées nommément. Certains parlent d’un coup d’État perpétré par les syndicats pour créer le chaos. D’aut res ironisent et se demandent si les instigateu­rs de cette dernière mesure ont demandé, en parallèle, la suspension des cours particulie­rs. Ces propos véhéments de citoyens indignés se retrouvent, même, sur les pages officielle­s de l’Ugtt. Apparemmen­t, la tension persiste et, malheureus­ement, personne n’est en mesure de désamorcer la crise. Les responsabl­es syndicaux savent pertinemme­nt que l’État peut appliquer la loi comme cela se fait ailleurs. Mais tout le monde sait, aussi, qu’il y a des forces qui sont à l’affût pour faire entrer le pays dans le chaos. Le bras de fer tel qu’il est engagé ne peut mener qu’à la confrontat­ion. Les premiers perdants ne seront autres que les couches populaires que chacun prétend défendre.

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