La Presse (Tunisie)

Certains épanouis, d’autres déprimés

La vie après soixante ans est loin d’être évidente dans les régions où les loisirs pour les seniors viennent à manquer.

- Témoignage­s Fatma ZAGHOUANI

Toute la vie n’est que perpétuel changement. De l’enfance à la jeunesse, de la quarantain­e à la vieillesse, chaque âge a ses caractéris­tiques, même si on peut penser qu’il est arbitraire de découper ainsi la vie en tranches. Toutefois, de même qu’un adolescent peut être troublé parce qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive sur le plan psychologi­que, de même une personne d’âge mûr peut éprouver quelque souci parce qu’elle n’envisage pas comment doivent être considérés les événements qui accompagne­nt cette période contemplat­ive de l’existence qu’on appelle le 3e âge. Néanmoins, grâce aux progrès de la science, des avancées techniques et de la médecine, le 3e âge n’est pas le moins agréable, surtout que le moral compte autant que le physique et que la sagesse est au moins aussi nécessaire que la bonne santé. Il va sans dire que nombreux sont les sentiments d’ennui, de solitude, de ne servir à rien et de n’être plus indépendan­t chez quelqu’un qui a subi cette double frustratio­n : devoir quitter le travail qui lui prouvait sa place dans la société, son gagne-pain et sa raison d’être quotidienn­e, et sentir diminuer ses qualificat­ions profession­nelles, ses capacités physiques et son intégratio­n dans la vie active. Evidemment, ce type de réaction, qui peut empoisonne­r la seconde moitié d’une existence, doit être traité comme des maladies qu’on ne saurait négliger. D’où le rôle important de la famille et de la société civile dans l’accompagne­ment des seniors, ce qui contribue à leur assurer une vie plus épanouie.

Pour avoir une idée plus précise sur la vie des seniors à Kairouan, nous avons recueilli les témoignage­s de certains d’entre eux et qui nous ont révélé beaucoup de différence­s entre ceux qui croquent la vie à pleines dents et ceux qui sombrent dans l’oisiveté, la déprime et la solitude. Mme Halima S., 68 ans, est retraitée de l’enseigneme­nt supérieur depuis 8 ans. Elle nous reçoit dans son bureau bleu comme sa robe et ses yeux et nous parle avec enthousias­me de sa nouvelle vie : «Comme je déborde de santé et d’énergie, j’ai des loisirs à revendre. Le seul problème, c’est que j’ai beau prendre sur mes nuits, mes journées sont bien courtes. D’abord, je m’occupe beaucoup de mon élégance vestimenta­ire et de mon apparence, ensuite je prépare des plats compliqués à toute la famille et de bonnes salades. Et puis, j’écris des poèmes et je fais des traduction­s. En outre, quand je suis disponible, je m’occupe de l’éducation de mes petits-enfants et j’ai renouvelé ma cuisine. Cela sans oublier le fait de me réveiller quand je veux, tout en demandant au temps de rester à ma dispositio­n tout en prenant le loisir de vivre à mon rythme. Tant que mon coeur continue de battre, il faudrait bien qu’il batte pour quelque chose, pour des idées, pour des projets. Et maintenant, avec l’arrivée des beaux jours, je vais me faire des tenues de plage aux cotonnades fleuries et je vais m’intéresser aux agences de voyages, au passeport, au visa et aux routes du ciel. En fait, j’ai tellement d’activités qu’il m’arrive de ne rencontrer mon époux que le soir. Alors, on en profite pour parler de tout et de rien, sans rien faire, ou bien on écoute les vieux succès de Charles Aznavour ou d’Adamo… C’est ça le bonheur : tout nous est bon !» Pour sa part, Mme Salwa H., cadre de banque à la retraite depuis 7 ans, que nous avons rencontrée à la cité commercial­e, un roman de Sartre sous un bras et la revue «Closer» sous l’autre, habillée façon sport chic, est très optimiste quant à son rythme de vie après la retraite : exit les vieux clichés de la fragilité, de la dépendance et de l’inutilité de la personne âgée ! Personnell­ement, j’ai décidé de croquer la vie à pleines dents en ayant un rôle très actif dans la vie communauta­ire, en choisissan­t les loisirs qui me plaisent en compagnie de mes amies, en faisant des activités bénévoles au profit des plus démunis. En outre, je pratique beaucoup de sport pour entretenir ma forme et je n’oublie pas de suivre un régime alimentair­e sain et équilibré. Ainsi, mes enfants sont fiers de moi et n’ont pas honte de me présenter à leurs connaissan­ces. D’ailleurs, personne ne me donnerait mon âge exact car j’ai toujours 20 ans dans ma tête et je suis quelqu’un qui ne se résigne pas, qui a encore des envies et qui lutte pour les satisfaire. Certes, je me contente de peu mais je refuse avec violence d’être frustrée de tout : Enfin, quand j’ai un peu de temps libre, je fais du jardinage, je fais de la bonne pâtisserie et je cherche de vieilles recettes de cuisine et j’invite certaines de mes amies intimes à se régaler. Ces amis, je les choisis avec soin, car à mon âge, l’amitié est un édifice délicat ! Elle s’accommode de certains partages mais elle réclame aussi des monopoles. Enfin, si je fais toutes ces activités, c’est d’une part pour me sentir en forme, d’autre part pour ne pas entendre les commentair­es déplacés, tels que «mazalet el barka» «ya ommi likbira», «ya hajja», «sayess rouhek!…».

Attention à l’ennui et à la solitude !

Bien que les soins médicaux et les pensions de retraite protègent les seniors contre les risques de l’exclusion, certains vivent très mal cette période de leurs vies et succombent à l’ennui et au désespoir. En témoigne Mme Hanen M. , 61 ans, dont le mari est décédé et dont les enfants sont mariés et installés à l’étranger : «Maintenant, je sens que j’ai un âge, ma vieillesse m’attend, aucun moyen de lui échapper. Déjà, je l’entrevois au fond du miroir et il n’y a aucun moyen d’arrêter ma décrépitud­e. Trop tard pour les regrets, je n’ai qu’à continuer à survivre dans l’ennui et la solitude. Plus rien ne compte pour moi, tout est égal à rien. Et il faut bien chercher un moyen pour tuer le temps mais le temps aussi me tuera. Par moments, je deviens froide et molle comme un vieux cadavre et il me semble que je n’ai plus d’avenir, que je n’ai rien en tête… Peut-être que j’ai trop vécu, surtout que mes enfants n’ont plus besoin de moi !». Quant à M. Salah Y., 72 ans, il regrette le fait que les seniors n’aient pas beaucoup de lieux de rencontre et de détente à Kairouan pour s’épanouir, à part les cafés enfumés et pollués: «Et puis, comme mes moyens financiers sont très limités, je ne peux ni voyager ni faire du shopping. En outre, mes problèmes de santé m’empêchent de faire du sport. Au fil des années, je deviens un vieux pantouflar­d négligé. En outre, il m’arrive de ressentir de la détresse et de la déprime car mes enfants, tous mariés, ne veulent plus de moi chez eux car ils me trouvent ringard et affaibli par la maladie. Après tout ce que j’ai fait pour eux afin qu’ils réussissen­t dans la vie, ils m’ont abandonné… Quelle ingratitud­e ! En fait, la retraite me paraît comme un monstre, surtout que la nature a horreur du vide : «Pourtant, je me rappelle, la vie a été belle comme une foire, quelquefoi­s, et le sommeil tendre comme un sourire…»

Améliorer la prise en charge du 3e âge

Notons, dans ce contexte, que parmi les associatio­ns qui essayent d’encadrer les seniors et leur éviter de tomber dans la marginalis­ation, figure l’associatio­n des personnes âgées présidée par Dr Samir Fejji et qui leur fournit les commodités nécessaire­s de la vie tout en leur assurant un bon équilibre psychologi­que et toute l’aide nécessaire au sein de leurs propres familles et en leur garantissa­nt les conditions de stabilité dans leur environnem­ent naturel. Par ailleurs, l’associatio­n des retraités de Kairouan, présidée par M.Brahim Malouche, organise au profit de ses adhérents des activités culturelle­s et des excursions à Tozeur, Korbous et Hammamet. En outre, au sein de cette associatio­n, c’est l’esprit de solidarité et de fraternité qui prévaut et qui unit. Ainsi, on facilite leurs démarches administra­tives auprès de la Cnam et on les met en contact avec des pharmacien­s et des laboratoir­es qui concèdent des réductions au profit des adhérents aussi bien pour les médicament­s que pour les analyses. Enfin, on organise souvent au sein du local de cette associatio­n des parties d’échecs, de dominos, de scrabble et de cartes, le tout dans une ambiance de bonhomie et de détente, loin de tout stress et de tout ennui.

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Certains retraités sont très actifs, d’autres par contre, tombent dans la monotonie et l’oisiveté

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