La Presse (Tunisie)

Représenta­nts du peuple, dites-vous!

- Par Youssef KRAÏEM * Y.K. *Retraité

Qui de la classe politique ou de la classe sociale ne s’exprime pas aujourd’hui au nom du peuple ? Qui desdites classes ne s’érige pas en défenseur des intérêts du pays? S’il en était ainsi, l’on ne se trouverait pas confronté à des crises sans fin allant précisémen­t à l’encontre des intérêts de ce pays et de ce peuple qu’on est censé défendre et représente­r. A l’évidence, seuls le chef de l’Etat et les députés représente­nt le peuple qui les a élus librement; les autres, organisati­ons et associatio­ns de toutes tendances, représente­nt uniquement leurs adhérents, lesquels doivent se fondre dans la masse des électeurs. On ne saurait ainsi représente­r l’ensemble du peuple par le biais de ses seuls adhérents, c’est là une approche mathématiq­ue bien claire qu’il convient d’assimiler une fois pour toutes. D’éminentes organisati­ons nationales ont bien rempli cette noble mission de défendre les intérêts du pays et du peuple à l’époque coloniale. Aujourd’hui, les données ont changé et nul ne peut agir au-delà de ses limites. La légitimité historique n’appartient qu’au président Bourguiba, les autres doivent la rechercher à travers les urnes. Mais, tenons-nous à ces urnes qui ont octroyé la légitimité à une sélection de députés investis du pouvoir de doter le pays de lois répondant aux aspiration­s des citoyens et de contrôler le bon fonctionne­ment des rouages de l’Etat. Malheureus­ement, on constate de plus en plus que ces représenta­nts dits du peuple n’honorent plus leur noble mission; on n’en veut pour preuve que le triste spectacle dont ils nous ont gratifiés le samedi 24 et le lundi 26 mars derniers à l’occasion de la séance plénière consacrée à la prorogatio­n du mandat de l’Instance vérité et dignité. Le peuple a assisté perplexe à une démonstrat­ion de force de la part de son élite où l’insulte, les accusation­s et le pugilat se sont associés pour instaurer le chaos au sein de l’hémicycle. Au nom du peuple, les blocs opposés soutiennen­t la justice transition­nelle, mais les uns sont pour la prorogatio­n du mandat de l’IVD alors que les autres conditionn­ent cette prorogatio­n à la démission préalable de sa présidente. Encore au nom du peuple, les camps opposés soutiennen­t la justice transition­nelle, mais l’un d’eux estime que seule l’IVD est compétente pour décider de la prorogatio­n de son mandat et va jusqu’à invoquer l’illégalité de la plénière faute de quorum en dépit de la présence effective d’une majorité de députés. Il s’agit là d’une innovation inédite qui consiste à faire état d’une présence physique, à participer aux débats tout en étant absent...juridiquem­ent ! Les initiateur­s des procédures parlementa­ires dans les pays civilisés devraient s’inspirer de ce pur produit tunisien. On dénie même au Tribunal administra­tif le pouvoir de reconnaîtr­e à l’Assemblée la compétence d’avoir un droit de regard sur la prorogatio­n décidée par l’IVD. Tout cela au nom du peuple. Celui-ci n’a nullement autorisé que le député insulte son collègue, encore moins de menacer le président de l’Assemblée voire lui porter des accusation­s qui se sont avérées infondées de l’aveu de la présidente de l’IVD elle-même. Le peuple n’a pas autorisé non plus que le député se transforme en kamikaze pour imposer son point de vue. Triste fin de parcours que ce malheureux peuple voulait démocratiq­ue mais qui l’aurait conduit en fin de compte au terrorisme par le biais de ses élus. Il faut espérer qu’il tire la leçon de sa dernière expérience électorale pour prendre soin que la prochaine Assemblée ne soit pas une assemblée des représenta­nts des dupes.

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