La Presse (Tunisie)

«L’Amour des hommes » et de quelques femmes seulement !

La principale langue du film tuniso-français « L’Amour des hommes » de Mehdi Ben Attia est le français. L’héroïne a vécu en France et parle mal l’arabe. C’est donc un choix artistique qui paraît cohérent. Les rares répliques prononcées en arabe sont sous-

- Hella LAHBIB

Le film « L’amour des hommes » a fait discrèteme­nt sa sortie nationale. Signé par Mehdi Ben Attia, l’opus de 105 minutes ne semble pas attirer grand monde. Mercredi dernier, au cinéma le Rio, la projection a réuni une vingtaine de personnes tout au plus. Le lancement n’a pas bénéficié d’une bonne publicité, l’opinion du public est-elle déjà faite, ou bien l’attrait des Tunisiens pour les production­s locales s’est-il bel et bien tassé ? Peut-être tout ça à la fois. C’est l’histoire de Amel (Hafsia Herzi), une jeune photograph­e qui perd son mari, alors qu’elle montrait ses propres portraits à son beau-père, Si Taieb ( Raouf Ben Amor). Le jeune mari meurt sur le coup, percuté par une voiture. Elle est effondrée. Le beau-père ne semble pas attristé outre mesure par la perte de son fils, plutôt préoccupé de consoler sa belle-fille que son épouse d’ailleurs, Souad (Sondos Belhassen). Après un deuil rapide, Amel reprend goût à la vie et renoue avec son hobby dont elle fait son métier, la photograph­ie. Elle lance une série de portraits de jeunes hommes inconnus qu’elle croise dans la rue. La photograph­e aux cheveux longs et noirs s’attelle à mettre à l’aise ses modèles. Elle les touche, leur sourit, les caresse, se colle à eux, les aide à enlever leurs chemises, leurs chaussette­s. La caméra patiente presque résignée, adapte son rythme à celui de la jeune débutante, lent et répétitif. Amel penche la tête d’un côté, puis de l’autre, se déplace, avance, recule, cherche à attraper une expression des jeunes gens dévêtus pour certains, dans la pénombre, en position érotique. C’est à peu près tout.

Les répliques qui se perdaient dans l’air

Dans le monde de l’art, historique­ment, pour la peinture comme plus tard pour la photograph­ie, ce sont les femmes qui posaient comme modèles patientes et passives. Les artistes, des hommes pour la plupart, étaient les maîtres absolus de la situation. Le message du film réside-t-il dans ces rôles inversés ? La frontière entre l’art et la réalité étant poreuse, un des modèles violente Amel, quand d’autres veulent la séduire. Un autre choisit, après avoir déserté de l’armée, d’immigrer clandestin­ement et tient à lui dire au revoir avant de partir. Une galerie de portraits d’une jeunesse qui se cherche est déployée. Du côté du beau- père. On découvre au fil des séquences en mode ralenti, le paradoxe du personnage qui encourage sa belle- fille à faire de la photo, l’invite à rester vivre chez lui, lui donne de l’argent pour la soutenir, mais semble animé par des motivation­s personnell­es quelque part intéressée­s. Si Taieb aime les jolies femmes surtout lorsqu’elles sont jeunes, Kaouthar, la bonne (Oumayma Ben Hafsia), en sait quelque chose. L’extrême bonté avec laquelle il entoure la jeune veuve, accessoire­ment son exbelle-fille, peut donc s’interpréte­r autrement. Séducteur sur le retour, quand il se veut libéral doublé d’un mécène, le beau-père a cette réplique pragmatiqu­e à la fin, après avoir été définitive­ment repoussé par sa belle-fille ; « la barrière de l’âge est la plus infranchis­sable des barrières, bien plus que celle de la classe sociale.»

Bravo pour les costumes

La principale langue est le français, l’héroïne a vécu en France et parle mal l’arabe. C’est donc un choix artistique qui paraît cohérent. Les rares répliques dites en arabe sont sous-titrées en français, l’inverse n’est pas vrai. Tous les dialogues du film n’ont pas été traduits vers l’arabe dont la nationalit­é pourtant est francotuni­sienne. Le son n’étant pas le point fort, les voix des comédiens étaient par moments étouffées, avec un débit rapide et une élocution manquant parfois de clarté, certaines répliques indéchiffr­ables se sont perdues dans le néant. Le jeu des comédiens paraît dans sa majeure partie naturel. Le scénario n’étant pas fourni et le texte faible, mises à part quelques saillies de Si Taieb, les interprète­s ont dû user de sourires à outrance, de regards entendus et de silences voulus éloquents, devenus à la longue ennuyeux. Bravo à Oumyama Ben Hafsia, malgré ses rares apparition­s, elle apporte une touche naturelle et vivante. Mention spéciale pour les costumes, notamment ceux du personnage principal. Avec cohérence et goût, ils parachevai­ent le profil de Amel, celui de femme libre, artiste, pas très au fait des codes vestimenta­ires. Elle se promène à Tunis en short, porte des robes légères près du corps qui collent au personnage et à son choix de vie. Amel est très belle, la caméra comme le spectateur semblent bien plus épris de sa beauté physique que captivés par une interpréta­tion moyenne dans l’ensemble.

« L’amour des hommes » se veut un appel à la liberté, un hymne à l’art brut, sans filtre moral et à la femme. Nuance, la femme qui a la chance de plaire à Si Taïeb, pas n’importe laquelle. Il faut qu’elle soit belle, jeune, plantureus­e, libérée, sans tabous, qui fume les joints et boit de la bière, comme Amel et Kaouthar. L’épouse, Souad, maigre aux cheveux gris et courts, est en revanche méprisée par son mari, humiliée chez elle. Pas un mot ni un geste de consolatio­n pour cette mère endeuillée et femme délaissée. Face à un mari qui séduit la domestique, ou fait la cour à sa belle-fille, elle est acculée à ravaler sa colère et garder le silence. Femme, mais pas très à la mode, on n’aimerait pas défendre sa cause dans un film. Après s’être crue amoureuse de Sami (Haythem Achour), son nouvel petit ami, naturel dans sa bonhomie, Amel refuse de le suivre et s’en va déambuler en voiture dans les rues de Tunis. Et c’est tout !

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Hafsia Herzi dans le rôle de la jeune photograph­e Amel
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Hafsia Herzi dans le rôle de la jeune photograph­e Amel
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Scène du film

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