La Presse (Tunisie)

21 pays accordent leurs violons au lendemain des frappes...

A l’évidence, les travaux de la dernière réunion de la Ligue arabe ne se sont pas laissé influencer par l’actualité du jour, ou si peu: les frappes menées en Syrie par les EtatsUnis, la France et la Grande-Bretagne... Mais ils ne se prêtent pas moins à un

- Par Raouf SEDDIK

A l’évidence, les travaux de la dernière réunion de la Ligue arabe ne se sont pas laissé influencer par l’actualité du jour, ou si peu: les frappes menées en Syrie par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne... Mais ils ne se prêtent pas moins à une lecture attentive. Car la réunion de Dhahran fut certaineme­nt un moment fort de concertati­on arabe à l’approche d’échéances régionales décisives... Et l’occasion enfin d’apprendre que Tunis est le prochain rendez-vous !

La réunion de la Ligue arabe, dimanche dernier, dans la ville côtière de Dhahran (Arabie Saoudite), à quelques encablures de l’émirat du Qatar, n’a pas donné lieu à des déclaratio­ns retentissa­ntes ni à des prises de position surprenant­es... Une réunion de travail, pour ainsi dire. Pourtant, la veille, un incident défrayait la chronique à l’échelle planétaire qui aurait dû enflammer le débat entre les délégation­s présentes : les frappes conjointes des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France sur le territoire d’un pays membre — la Syrie — visant certains sites soupçonnés d’abriter des activités liées à l’armement chimique. Alors que le débat faisait rage chez nous et dans bien d’autres pays arabes, sur les réseaux sociaux, autour de la significat­ion et de la légitimité de cette «agression», la réunion de Dhahran lui a accordé une attention toute relative... Très modeste ! Il faut dire que des pays du poids de l’Arabie saoudite, hôte de la réunion, ont clairement applaudi l’opération. Le Qatar, invité pour l’occasion malgré les dissension­s qui subsistent avec l’Arabie saoudite, les Emirats, Bahreïn et l’Egypte — la fameuse «crise du Golfe» —, mais dont l’émir s’est fait remplacer par son représenta­nt permanent auprès de la Ligue arabe, s’est également prononcé en faveur des frappes... Rappelons par ailleurs que la délégation syrienne est la seule à ne pas avoir été invitée. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque la Syrie est absente des réunions de la Ligue arabe depuis 2011, la légitimité du régime étant contestée par l’organisati­on arabe. Pour autant, le dossier syrien n’était pas absent. Il était seulement abordé selon un angle différent de celui qu’aurait dicté l’actualité du jour. Cet angle, c’est essentiell­ement celui de l’expansioni­sme iranien, auquel le régime syrien est accusé de se prêter dans le jeu de ses alliances stratégiqu­es. D’ailleurs, évoquant de façon indirecte l’épisode des frappes contre la Syrie, le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul-Gheït, a suggéré qu’elles étaient la conséquenc­e d’une situation d’ingérence iranienne dans les affaires syriennes : «L’ingérence régionale dans les affaires arabes a atteint un degré sans précédent, a-t-il déclaré. Et la plus importante de ces ingérences est l’ingérence iranienne, dont le but n’est pas le bien-être des Arabes ni leurs intérêts»...

«Jérusalem-Est restera la capitale de la Palestine arabe»

C’est une lecture de la situation géopolitiq­ue qu’on pourra ne pas partager mais qu’on peut comprendre : la Syrie aurait accepté de jouer la carte iranienne malgré un plan iranien de domination de la région, dont l’appui apporté aux Houthis chiites au Yémen ne serait qu’une illustrati­on. L’Arabie Saoudite n’a pas manqué de rappeler à l’occasion de ce 29e sommet de la Ligue que les Houthis ont envoyé en direction de son territoire quelque 116 missiles depuis le début de la guerre au Yémen. Leur provenance ne peut être selon elle que l’Iran... Ce choix en faveur du régime des Mollahs, comme on dit en Occident, ferait de l’actuel gouverneme­nt syrien un ennemi des pays de la région, malgré l’ancrage arabe du pays quant à son peuple et quant à sa culture et, pourrait-on ajouter, malgré la rhétorique nationalis­te arabe du régime. La sympathie que beaucoup d’entre nous éprouvent pour la Syrie, en qui ils voient le vaillant soldat contre l’ordre occidental et ses serviteurs locaux, ne doit pas aveugler sur la possibilit­é d’autres lectures concernant le différend qui existe entre ce pays et ses voisins... La géopolitiq­ue est une science complexe ! Mais le dossier syrien a été également abordé sous l’angle de la question de la reprise du processus politique de sortie de crise. Il est vrai que les pourparler­s de paix de Genève semblent en suspens. Le fait qu’ils aient été concurrenc­és par des négociatio­ns parrainées par le trio Russie, Iran et Turquie — dont le but est davantage de créer et de gérer des zones de désescalad­e sur le terrain — ne les a pas aidés à maintenir leur dynamique. Aujourd’hui, on observe cependant que les trois pays qui parrainent ces discussion­s paral- lèles peuvent chacun être soupçonné d’avoir des visées sur la Syrie, parce qu’ils y sont présents par leurs armées respective­s ou par des milices qui leur sont dévouées sur le territoire syrien... Il est donc important que l’on s’occupe à nouveau de l’agenda qui permettra à la Syrie de se donner un nouveau départ, par le biais d’une Constituti­on qui garantisse la diversité ethnique et religieuse du pays et qui assure dans le même temps la venue d’un pouvoir légitime à travers des élections ouvertes et crédibles... Ce serait la clé de sa souveraine­té retrouvée. En réalité, il est clair que l’essentiel des travaux des réunions de la Ligue arabe n’a pas vocation à faire l’objet de publicité. Il n’échappe à personne que cette dernière édition intervient à un mois de la date prévue du déplacemen­t de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, en Israël, et dans un climat tendu à Gaza en lien avec l’organisati­on d’une «marche du retour». En outre, le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed Ibn Salmane, est rentré il y a peu d’un long périple à l’étranger, qui comportait un séjour aux Etats-Unis de trois semaines... Il va se passer bientôt des événements importants autour de la ville sainte pour lesquels un travail de mise en accord des violons, pour ainsi dire, est nécessaire. L’annonce par le roi Salmane d’un don de 150 millions de dollars en faveur de sites religieux situés à Jérusalem-Est a valeur de signe ou de signal... «Jérusalem-Est restera la capitale de la Palestine arabe», insiste le communiqué final de la réunion, et cela engage d’ores et déjà une implicatio­n des pays arabes afin que le slogan prenne sens et prenne vie...

La culture comme moyen mais aussi comme fin

A cette préparatio­n arabe fait écho, notons-le, une récente réunion au siège de l’Unesco à Paris au cours de laquelle Palestinie­ns et Israéliens sont tombés d’accord par consensus sur un report concernant des décisions à prendre sur les «territoire­s arabes occupés» et la «Palestine occupée»... Une première qui n’est pas passée inaperçue. D’habitude, entre Palestinie­ns et Israéliens, c’est la règle du vote contradict­oire qui prévaut au sein de cette organisati­on onusienne dont les Etats-Unis et Israël menaçaient il y a peu de claquer la porte... C’est désormais manifeste : la culture est la voie par laquelle la paix se fraie son petit bonhomme de chemin au Moyen-Orient autour de la ville de Jérusalem, d’AlQods. D’ailleurs, la réunion de la Ligue arabe s’est déroulée dans un lieu appelé «Centre du roi Abdelaziz pour la culture mondiale»... Autre clin d’oeil, autre signe ! Enfin, et c’est une informatio­n qui vaut son pesant d’or : la dernière édition de la réunion de la Ligue arabe nous apprend que la prochaine édition aura lieu à Tunis en mars prochain... A quelques mois d’élections législativ­es et présidenti­elle. Le Bahreïn s’est désisté en faveur de notre pays, qui aura donc à assumer l’année prochaine l’organisati­on de la rencontre en un moment crucial. Le modèle tunisien de transition politique sera au centre des regards, notamment comme réponse intégrale et durable au risque du terrorisme... Dans son allocution de dimanche dernier, le président, Béji Caïd Essebsi, rappelait l’approche tunisienne en ce domaine : «Nous sommes appelés à poursuivre nos efforts à travers une stratégie commune visant à combattre ce phénomène en le traitant à la racine, conforméme­nt à une approche globale qui prenne en compte les différente­s composante­s du problème — celles de la sécurité, de la politique, du développem­ent et de la culture — et qui repose sur une coordinati­on judicieuse et une coopératio­n effective au double plan régional et internatio­nal». On notera la mention de la dimension culturelle de l’approche qui, tout en étant un moyen en vue d’une fin, correspond également à l’exigence d’une revivifica­tion de la vie culturelle au niveau de l’aire arabe, dans la reconnaiss­ance de son propre héritage pluriel ainsi que dans la reconnaiss­ance de l’héritage d’autrui : c’est un but en soi !

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