La Presse (Tunisie)

Attaque contre la syrie : les damnés de la terre

- Par Azza FILALI A.F.

Debout les damnés de la terre ! L’histoire avance et se répète. L’attaque de la Syrie par le trio USA-France-Grande-Bretagne, attaque ciblée, n’ayant fait aucune victime, n’aura été qu’une lamentable mascarade. Mais, là où la mascarade tourne au tragique, c’est lorsqu’on réalise l’effroyable arrogance de ces Occidentau­x, venant mettre de l’ordre hors de leurs frontières et détruire des dépôts d’armes chimiques inexistant­s; tout cela proprement, sans aucun nuage toxique s’élevant après leur passage. Trop de vidéos, postées sur les réseaux sociaux, ont démontré que la soi-disant attaque chimique du samedi 7 avril à Damas n’était en réalité qu’un incendie d’immeuble, ayant fait affluer aux urgences des civils asphyxiés, puis une rumeur d’attaque au chlore et au sarin ayant provoqué un vent de panique parmi des population­s, déjà éprouvées.

Il est difficile de dire ce qui est le plus grotesque dans l’attaque armée du samedi 14 avril contre Damas et Homs : cent missiles balancés en une heure, aucune victime déplorée, car les habitants avaient été soigneusem­ent évacués quelques jours avant ou les déclaratio­ns de bonnes intentions, faites par les trois présidents : la frappe a été faite pour le bien de la Syrie et des Syriens. En vérité, comme tout le monde sait, l’attaque ne visait pas les civils, ne cherchait pas à protéger les Syriens contre des exactions commises par leur président au moyen du chlore et du sarin. Le but premier était d’effacer, au niveau du sol, toute trace qui pourrait clairement affirmer l’absence de produit chimique dans la zone. Plus de traces, plus de preuves, l’attaque devient légitime, à défaut d’être légale…

L’Histoire entre Occident et Moyen-Orient a le mauvais goût de se répéter, inchangée, tout au long des siècles. Ainsi, l’attaque du samedi 14 avril constitue dans sa tragique ineptie un échantillo­n représenta­tif de mille ans de « bon voisinage »… Récemment, en Irak, la recherche obstinée d’armes chimiques, par les Américains, a lamentable­ment échoué. Peu après, l’expert chargé de l’enquête a eu la mauvaise idée de mourir, tout seul, en rase campagne…

Pour le trio « USA, France et Grande-Bretagne », les pays dits émergents, et à leur tête les musulmans, ont commis l’irréparabl­e : naître et résider dans un MoyenOrien­t particuliè­rement riche en gaz, pétrole, voies de passage et symbolique religieuse. Pour cette faute originelle, ils ont commencé à payer depuis… les croisades ! Eh oui, déjà Français, Anglais et Allemands voulaient dépecer ce qu’on nommait alors l’Asie Mineure. Entre 1097 et 1266, huit croisades se sont succédé. Motif officiel : l’évangélisa­tion des hérétiques. Motif réel : l’occupation de la région. Pendant trois siècles, chassé-croisé, victoires et défaites ont jalonné les relations entre Europe et Moyen-Orient. Deux cents ans plus tard, la vieille Europe commence à regarder hors de ses frontières : la découverte de l’Amérique déclenche de nouveaux appétits. La conquête de nouveaux territoire­s, par ceux qui, déjà, commencent à se prendre pour les maîtres du monde, va de pair avec l’exterminat­ion des population­s indigènes. Là encore, on retrouve des motivation­s emboîtées telles des poupées russes : évangélise­r, s’étendre dans des pays tout neufs et piller leurs richesses.

Puis arrive l’époque bénie de la colonisati­on : en 1750, les troupes de la Compagnie anglaise des Indes orientales prennent le contrôle du Bengale dont ils dérobent les trésors. Commence alors la longue et tragique époque de l’occupation par les Occidentau­x des pays d’Afrique du Nord, de l’Ouest, et de certains pays subsaharie­ns. S’il est une date qui refuse de s’effacer des mémoires, c’est celle du 14 juin 1830, lorsque les Français débarquent en Algérie, inaugurant une colonisati­on de près de deux siècles, avec 40 ans de massacres des population­s indigènes par les Français. A cet égard, on ne peut aujourd’hui que savourer la fameuse déclaratio­n préélector­ale de M. Macron, décrétant, à Alger, que la colonisati­on était un crime contre l’humanité. Devenu président, l’affirmatio­n ne lui servait plus à grandchose et puis quel rapport avec les missiles envoyés avec les amis américains et britanniqu­es ? La nuit, tous les missiles sont gris et Monsieur Macron n’oserait tout de même pas désobéir aux Américains ! Ni lui, ni Mme Theresa May, ni les larbins Saoudiens, Qataris ou Jordaniens qui ont offert leurs bases aux Occidentau­x et leur ont financé leurs missiles du samedi 14 avril, avec des deniers provenant, en partie, du pèlerinage, cette manne sanctifiée que les musulmans continuent d’offrir chaque année au régime saoudien.

Mais, il y a plus savoureux encore : c’est durant la période de la colonisati­on que les USA, puis la France établissen­t les fameuses déclaratio­ns des droits de l’Homme. Ils avaient juste omis de préciser que ces hommes, libres et égaux, n’étaient autres qu’eux-même, à l’exclusion du reste de la planète. C’est qu’entre le quinzième et le dix-neuvième siècle, les traites négrières fleurissai­ent entre l’Afrique et respective­ment les Antilles anglaises et françaises, sans oublier l’Amérique du nord et du sud. La tristement célèbre île de Gorée, au large des côtes du Sénégal, a ainsi représenté le plus grand centre de commerce d’esclaves de la côte africaine.

C’est dans ces pays des droits de l’Homme qu’au XIXe siècle, apparaît la théorie des races. En 1853, Arthur de Gobineau publie son « Essai sur l’inégalité des races humaines ». C’est aussi au XIXe siècle qu’on assiste, en Europe, aux fameuses exposition­s dites ethnograph­iques, au cours desquelles certains spécimens humains, particuliè­rement « exotiques », étaient exhibés tels des singes dans un zoo. Comme l’esprit humain n’est jamais cloisonné, c’est à la même époque que Gauguin fait découvrir au monde ses nus antillais et que les « femmes d’Alger » de Delacroix ouvrent la porte à un orientalis­me dont les facettes se sont, depuis, multipliée­s.

Au vingtième siècle, l’un des plus sanglants de l’histoire, la fin de la Première Guerre mondiale voit se redessiner la carte du Proche et du Moyen-Orient : par les accords de Sykes-Picot, la France s’approprie le Liban et la Syrie, tandis que la Grande-Bretagne garde pour elle l’Irak et la Palestine. Triste ironie du sort, ou calculs politico-mafieux : c’est au dernier jour du mandat britanniqu­e sur la Palestine, soit le 14 mai 1948, qu’est déclarée l’indépendan­ce de l’Etat d’Israël…

Dans cette Histoire, vieille d’un millénaire, l’attaque du samedi 14 avril contre Damas, n’est qu’un minuscule épisode à ajouter au malheur des « damnés de la terre ». L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs (ou leurs vassaux). Mais y a-t-il eu victoire ? A vaincre sans péril…. Et puis, frapper plus faible que soi n’a jamais été un signe de grandeur; tout au plus, un prestige de carton pâte, une victoire de western spaghetti. Si nos trois ténors sont satisfaits de leur acte, grand bien leur fasse, mais de grâce qu’ils aient la décence de ne pas orner leur honteuse prestation d’arguments moralisate­urs, qu’ils ne viennent pas nous raconter que les cent missiles balancés samedi dernier sur Damas et Homs l’ont été au nom de la morale et du bien de l’humanité ! Là, on risque de basculer d’une mauvaise tragédie vers un vaudeville à quatre sous !

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