Place aux parents et à la société civile
Les Tunisiens ne parlent que du conflit persistant entre le ministère de l’Education et l’Ugtt
La nouveauté de ces derniers jours, c’est l’impact grandissant du rôle des parents. Jusqu’à l’heure, on avait assisté à un duel Fges-ministère de l’Education. Depuis des mois, nous avons entendu le même son de cloche venant de responsables syndicaux ou gouvernementaux. Chacun prétendait avoir raison. Chacun se disait «soucieux» des intérêts de l’élève. Mais, dans la pratique, il n’y avait aucune initiative concrète visant à apporter une solution aux problématiques en suspens. Les parents sont, donc, montés au créneau avec plus de force et de détermination. Avec eux, d’autres acteurs de la société civile et des associations ont voulu s’impliquer dans le processus pour faire bouger les lignes et rappeler aux uns et aux autres que l’affaire concerne, non seulement, près d’un million de collégiens et de lycéens mais toute la société tunisienne.
Faire bouger les lignes
L’intervention du juge de la famille, l’implication de l’Instance de protection des données personnelles, celle de l’Association des parents et des élèves... ont bousculé tous les calculs de la Fges qui se croyait la seule maîtresse du jeu. C’est ainsi que, mardi dernier, des membres de l’Association des parents d’élèves ont organisé un rassemblement devant le siège de l’Ugtt et ont défié le syndicat de l’enseignement dans son fief. Le lendemain, d’autres manifestants se sont rassemblés devant le Théâtre municipal de Tunis pour protester contre la dernière décision de grève ouverte et le blocage des notes. Sur une des pancartes, on pouvait lire «Yaâcoubi, dégage». Tout à fait récemment, l’Organisation tunisienne de l’éducation et de la famille (Otef) a fait entendre sa voix en condam- nant le recours aux pratiques imposées aux parents et aux élèves alors que le litige ne les concerne pas. Plus important encore, les débats spontanés qui se sont déroulés devant les établissements scolaires, notamment, le premier jour du démarrage de la suspension des cours. Les positions étaient, carrément, hostiles à cette mesure jugée sévère et irresponsable. D’aucuns sont allés jusqu’à menacer de suspendre leur cotisation à l’Ugtt ! Voyant l’étau se resserrer autour d’eux, certains responsables ont essayé de rassurer les parents. Ils répétaient, à l’envi, qu’il n’y aurait pas d’année blanche. Le Secrétaire général de la Centrale syndicale n’a pas hésité à promettre aux parents que les professeurs feraient des cours de rattrapage aux élèves pendant les vacances ! De quelles vacances parle-t-il ? Tout le monde sait qu’il ne reste qu’une petite semaine de vacances qui ne suffira pas à remplacer les centaines d’heures perdues à cause des grèves et de la dernière suspension des cours. Un jour de perdu signifie au moins 5 à 6 heures de cours. De plus, rien n’oblige les professeurs à assurer des cours de rattrapage, surtout si le ministère met en application la mesure de retenue sur salaires. Pour les élèves des classes terminales, les cours s’arrêteront, officiellement, après le «bac blanc». C’est-à-dire le 16 mai.
Hostilité de l’Ugtt à la représentation des parents
Les parents ont l’impression qu’on ne s’intéresse pas comme il faut à cette grave crise et que des intérêts autres que ceux des élèves sont privilégiés. Ils sont convaincus, aujourd’hui, plus qu’à aucun autre moment, qu’ils sont appelés à jouer un rôle plus grand. Pour ce faire, ils sont tenus de s’impliquer dans l’action même si la position de certains syndicalistes leur est hostile. En effet, les syndicats ont toujours été opposés à ce que les parents aient un quelconque rôle dans l’opération éducative. Lorsque le ministère avait voulu créer des conseils des établissements (regroupant entre autres des représentants des parents) c’est le syndicat qui a fait capoter le projet. En outre, ces syndicalistes n’acceptent pas l’intervention des parents dans ce qu’ils considèrent comme leur chasse gardée. Pour eux, les associations de parents qui existent et qui essayent de jouer un rôle n’ont aucune représentativité. L’argument utilisé par les détracteurs est que ces structures ne jouissent d’aucune légitimité électorale. En somme, tous les moyens sont bons pour dénier aux parents le droit d’être actifs sur la scène éducative pour laisser le champ libre aux seuls syndicats. Cette fois, il semble que les données ont totalement changé et que le point de non-retour est atteint. Les parents revendiqueront, désormais, leur rôle : celui de veiller aux intérêts de leurs enfants. Ils ne sont pas prêts à se laisser dérober cette noble tâche. On constate que chaque jour, ils prennent conscience de leur poids et de leur capacité à impulser le cours des événements, tout simplement, parce qu’ils sont sincères dans leurs actions. Ils n’ont aucun calcul ni desseins inavoués. De toute évidence, le conflit en cours ne devrait plus se poursuivre aux dépens des parents et de leurs enfants. Ils auront, forcément, leur mot à dire. Ils n’ont confiance en personne et toutes les promesses selon lesquelles l’année scolaire se terminerait «normalement» ne réussiront pas à les convaincre ou à les détourner de leurs objectifs. Car dire qu’il n’y aura pas d’année blanche n’a plus de sens. La réalité est que le mal est, déjà, fait. Les dégâts causés au système éducatif et à l’école publique sont importants d’autant plus qu’ils sont l’accumulation de plusieurs perturbations tout au long de ces dernières années. Il n’est que de voir les rapports entre les enseignants et les élèves et le niveau de dégradation auquel ils sont parvenus. Même la crédibilité dans l’action syndicale a été ébranlée. Le simple citoyen n’y voit plus qu’une structure qui défend «aveuglément» les intérêts d’une corporation au détriment du reste de la société.