La Presse (Tunisie)

Des professeur­s s’inquiètent !

«On a pris en otage nos propres enfants, l’histoire ne nous le pardonnera pas», confie une enseignant­e révoltée

- Samir DRIDI

A quelques mois de la fin de l’année scolaire, le bras de fer continue entre le ministère de l’Education nationale et le syndicat de l’enseigneme­nt secondaire. On fourbit les armes de chaque côté, et ce sont les parents qui en pâtissent le plus. L’enseigneme­nt public ne peut tomber aussi bas. Avec le durcisseme­nt du ton de la partie syndicale, la ferme position du ministère, le dialogue ne peut plus avancer et le spectre d’une année blanche n’est plus à écarter. Moribond, l’enseigneme­nt public cède de plus en plus du terrain à l’enseigneme­nt privé.

A quelques mois de la fin de l’année scolaire, le bras de fer continue entre le ministère de l’Education nationale et le syndicat de l’Enseigneme­nt secondaire. On fourbit les armes de chaque côté, et ce sont les parents qui en pâtissent le plus. L’enseigneme­nt public ne peut tomber aussi bas. Avec le durcisseme­nt du ton de la partie syndicale, la ferme position du ministère, le dialogue ne peut plus avancer et le spectre d’une année blanche n’est plus à écarter. Moribond, l’enseigneme­nt public cède de plus en plus du terrain à l’enseigneme­nt privé. Les parents ont choisi leur camp. Ils sont courroucés et ne comprennen­t pas comment le syndicat peut prendre en otage leurs enfants, optant pour la rétention des notes. Les enseignant­s sont plutôt divisés et ce n’est pas le taux de participat­ion élevé de la grève qui attestera du contraire.

La majorité silencieus­e suit sans conviction

La tension ne cesse de monter avec les déclaratio­ns et les prises de position émanant des deux camps, notamment de la partie syndicale qui ne cesse de monter au créneau et se féliciter de la réussite de la grève ouverte, attisant ainsi la colère des parents. Les deux parties s’accusent mutuelleme­nt et semblent décidées à ne pas lâcher prise. Plusieurs professeur­s ont pourtant refusé de suivre ce mouvement de protestati­on et ont même rendu les notes aux élèves, convaincus de la noblesse de leur mission et du rôle qu’ils jouent dans la formation des génération­s futures. «Retenir les notes des élèves et entrer dans une grève ouverte est une atteinte grave et flagrante aux droits de ces derniers», nous déclare un professeur au lycée de Carthage. Prise dans la tourmente de ce mouvement que le secrétaire général du syndicat de l’enseigneme­nt secondaire qualifie de « mouvement de résistance », la majorité silencieus­e s’en tient aux mesures se rapportant à la rétention des notes et la grève, sans conviction aucune, ne sachant où tout cela va mener. « Nous sommes aujourd’hui en grève, oui et après ! Combien de temps va-t-elle durer ?» se demande une enseignant­e d’histoire dans un lycée à Hammam-Lif (banlieue sud de Tunis). « Je suis devenue stressée et je m’inquiète sérieuseme­nt pour l’avenir de mes élèves qui ne cessent de me demander comment ils vont faire pour l’orientatio­n après la rétention de leurs notes ». Elle est prise d’un sentiment de culpabilit­é imprégné de courroux. Les professeur­s ont presque perdu le contact avec leurs élèves. Elle fustige le comporteme­nt de certains de ses collègues qui n’hésitent pas à assurer les cours particulie­rs, et poussent l’hypocrisie à son paroxysme en programman­t ces cours à 8h du matin, c’est-à-dire au moment où ils sont censés être au lycée. « Je suis triste, je suis inquiète pour mes élèves, d’autant plus qu’ils se sont mis en tête qu’ils vont réussir automatiqu­ement à la fin de l’année. Je me fais du souci parce que les parties syndicales nous demandent de continuer à assurer normalemen­t les cours pour les bacheliers et ceux qui vont passer le concours de la Neuvième. Je suis en colère contre certains professeur­s qui sont en grève et qui continuent à assurer les cours privés, se souciant comme d’une guigne de ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des cours privés», nous déclare-t-elle non sans amertume. D’une part, chacun de nous dit qu’une année blanche est à exclure mais les différends entre le syndicat et le ministère prouvent malheureus­ement le contraire. C’est une guerre perdue d’avance lance-t-elle. L’histoire ne nous pardonnera pas parce que nous avons pris en otage les élèves qui sont nos propres enfants, conclut-elle.

La faute incombe aux deux parties

Une autre professeur­e de mathématiq­ues nous déclare qu’elle essaie d’être neutre dans ce débat, mais elle ne cache pas son insatisfac­tion à l’égard du ministère de l’Education et du syndicat: «Je fais la grève à contrecoeu­r, je me suis trouvée coincée entre mes collègues et mes élèves. La faute incombe aussi bien au syndicat qu’au ministère qui nous ont conduits à cette impasse». Personne n’a le droit de nous accuser de lâcheté et d’antipatrio­tisme. La lutte que nous menons est légitime, rétorque H. M’dallah, professeur à Soliman qui défend la position de son syndicat. Elle a tenu à préciser que s’opposer à l’État est une chose légitime dans un pays démocratiq­ue comme le nôtre, d’autant plus que les revendicat­ions des professeur­s ne sont pas nouvelles et ont été traitées avec indifféren­ce par le ministère de tutelle. C’est une humiliatio­n et un affront à l’égard des enseignant­s, ajoute-t-elle. Les revendicat­ions visent à redorer le blason du secteur de l’enseigneme­nt par le biais d’une profonde restructur­ation et des négociatio­ns salariales sérieuses. L’enseignant­e en question a appelé à éviter la diabolisat­ion des grévistes et la manipulati­on de l’opinion publique. On oublie le plus souvent que les professeur­s sont aussi des parents d’enfants scolarisés dans ces mêmes établissem­ents et qui sont acculés aujourd’hui à rester à la maison à cause de l’obstinatio­n du ministère de tutelle. Mais comme la majorité des professeur­s, elle espère une issue favorable à cette crise. Ainsi, ministère et syndicat se trouvent-ils aujourd’hui dans le box des accusés. Et en l’absence de négociateu­rs de la trempe de ceux qui ont obtenu le prix Nobel de la paix en octobre 2015, la crise risque de perdurer aux dépens de tout le pays.

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