La Presse (Tunisie)

Comme un poisson hors de l’eau !

Cécile Oumhani tente de décortique­r les variables qui mènent à la réussite ou à l’échec des couples mixtes, glissant toute cette foule de détails qui peuvent épanouir les relations du couple ou bien les miner, comme ce qui est arrivé aux deux protagonis­te

- Sarrah O. BAKRY

Une solitude, une demeure à Sidi Bou Saïd, un mandarinie­r, un oranger, un citronnier, du jasmin, des roses... et un enfant dont elle na parle jamais. Sous des allures d’équilibre enfin retrouvé, Marie reste fragile après des années de la plus grande déception de sa vie, et pourtant elle est à l’aise dans ce nouveau pays qu’elle a fait sien et qui, lui, ne l’a pas déçue, à l’aise dans son voisinage, ses bruits rassurants de village, ses sédentaire­s et ses passagers, jusque dans le marché où elle a appris à choisir ses légumes et ses fruits avec une grande sagesse qui n’envie rien au savoir-faire de tous les natifs du coin.

Chocs et contrastes

Son compagnon du moment ne lui rappelle pas celui avec lequel elle avait tout quitté, à commencer par son pays, la France, pour une nouvelle vie. C’était la fin des années soixante et ils étaient de jeunes époux débarquant en Tunisie. Elle avait vingt et un ans et elle était amoureuse de Ridha qui lui apportait la promesse d’une vie d’aventures et c’est là, au port, qu’elle a son premier choc, le choc du jour solaire trop franc pour une Européenne du Nord, tout flotte autour d’elle dans l’incandesce­nce. Ce n’est pas un songe car elle est prise par la certitude du sol, du réel et du définitif. Sa gorge est nouée. Une longue route l’attend, lacérée de contrastes, avant qu’elle ne rencontre sa belle-famille dont elle ne connaît que les quelques bribes que Ridha lui a distillées au fil de leur rencontre. Pourtant, elle constate tout de suite que les membres de la famille de son mari sont affable, ils la reçoivent avec une grande gentilless­e. Oumi Saïda, la mère de Ridha, lui offre une tenue hautement coloriée de mariée, comme en portent les promises dans cette ville de l’intérieur de la Tunisie. C’est la fête mais elle reçoit de nouveaux chocs : les hommes et les femmes sont séparés, Ridha ne lui adresse pas la parole, les rites sont étranges, elle ignore ce qu’on attend d’elle. Ses repères habituels sont balayés et elle le reproche à Ridha : «Tu aurais pu me prévenir... De quoi j’avais l’air toute seule, incapable d’échanger un mot avec qui que ce soit ?». Elle sait qu’elle est acceptée quand même mais elle s’empresse de s’endormir aussitôt que la cérémonie prend fin pour échapper quelques heures à tant de nouveautés, un sommeil tourmenté de rêves incohérent­s. Encore un choc : le lendemain, elle s’attend à ce que son mari lui fasse visiter la ville où il a grandi mais un ami d’enfance fait son entrée et ils partent tous deux, laissant Marie étouffée par la frustratio­n. Elle lui en veut. Est-ce l’avenir teinté d’aventures qu’elle imaginait? C’est un inconnu qui se révèle à elle, elle reste cantonnée dans sa chambre à l’attendre, et le même scénario se répète tous les jours où elle se retrouve impuissant­e, vaincue par une langue inconnue qui lui rend opaques les échanges qui se font autour d’elle. Un faux espoir naît en elle quand ils s’installent dans une autre ville de l’arrière-pays, enfin seuls, mais dont elle ne ressort qu’avec une impression d’oisiveté qui renforce son sentiment d’être étrangère. Ridha a beaucoup changé quand elle tombe enceinte. Un jour, elle tente une promenade mais perd connaissan­ce et se retrouve dans un dispensair­e. C’est le premier symptôme de la dépression qui va s’emparer d’elle et ils s’éloignent encore plus l’un de l’autre. On comprend l’inéluctabl­e... Mais Cécile Oumhani choisit de nous transporte­r des années plus tard pour conter la suite de l’histoire. Voici Sofiane, un adepte des rêveries insatisfai­t de ceux qui l’entourent. Il rêve d’un visage du Nord au corps flanqué d’or et de lumière. Et, un jour alors qu’il est devenu un jeune homme, sa grand-mère Oumi Saïda lui parle pour la première fois de sa mère, Marie, car son père ne l’a jamais fait. En vérité, il s’agit de Ridha qui s’est remarié avec sa cousine et que la tristesse ne quitte jamais. Sa grand-mère, qui avait beaucoup aimé la petite Marie de vingt et un ans, parle à Sofiane de cette maudite ville où il n’y avait rien à faire pour elle et de l’incohérenc­e de son père : «Ton père a oublié qui elle était. Il s’est conduit comme un aveugle mais pas une fois je ne l’ai entendue se plaindre». Elle lui raconte comment elle se désintéres­sait de tout après sa naissance, ce qui a obligé le médecin à l’hospitalis­er. Mais quand elle guérit, elle découvre que Ridha avait amené tout le monde, Sofiane compris, au Yémen pour y travailler. Marie s’en va, la mort dans l’âme, pour ne revoir Sofiane que bien des années plus tard, jeune homme.

«Cette maudite ville où il n’y a rien à faire»

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