La Presse (Tunisie)

L’enseignant­e qui sait parler aux enfants

L’argent récolté a servi à acheter de nouvelles tables et chaises, réparer le mobilier scolaire cassé, acheter un vidéo projecteur pour le collège et aménager, suite à la propositio­n d’un élève, un coin lecture dans la bibliothèq­ue.

- H.L. Par Hella LAHBIB

Sana Frigui, née à Jemmal, vit à Moôtmer près de Sahline, la cinquantai­ne, mariée et mère de deux grands enfants. Elle a eu son bac en 1982 et obtient, en 1987, une maîtrise de Lettres Françaises à l’école Normale Supérieure de Sousse, ensuite un Diplôme d’Etudes Approfondi­es. Son encadreur n’est autre que feu Ahmed Brahim. Là où elle enseigne, elle constate, effarée, la baisse de niveau des élèves en français même dans les grandes villes et les lycées pilotes. Une véritable dégringola­de ! « Je pensais qu’à Monastir la maîtrise de la langue serait relativeme­nt bonne. Or, le recul du niveau est avéré. C’est catastroph­ique ! Je me souviens d’un élève qui n’était même pas capable d’écrire son nom. C’est moi qui le lui écrivais sur le brouillon pour qu’il le recopie correcteme­nt sur sa copie d’examen ».

Comprendre la souffrance des cancres

Préférant travailler avec les petits, Madame, comme l’appellent ses élèves, met en place une approche de «Motivation à la lecture comme moteur d’apprentiss­age». Elle consacre à la bibliothèq­ue de classe bien plus d’heures que le programme ne le recommande. Détail de taille, elle n’oblige pas ses élèves à faire des résumés ni à répondre à des questions de compréhens­ion, les laissant libres même de regarder les photos d’un magazine. Une dynamique est créée. Les enfants inscrivent sur une liste les titres lus, rivalisent entre eux. Il faudra en compter 60 livres pour une certaine Yasmine Jerbi, mordue de lecture, la jeune élève a fini par publier un recueil de poèmes. Une nette progressio­n à l’écriture et la capacité d’imaginatio­n est constatée par ailleurs.

«Les enfants sont beaucoup plus inspirés» , estime-t-elle, satisfaite. Avec l’enseigneme­nt, Mme Frigui tâche de transmettr­e des valeurs ;

«l’amour du travail, le plaisir de lire, le respect de l’autre, la capacité d’écoute, le respect de la diffé

rence» . Les élèves sont appelés à faire des exposés, elle les incite à trouver des sujets originaux, «surprenez

moi» , leur dit-elle. Ils apprennent à faire des recherches et synthétise­r «en évitant, autant que possible, le copier-coller ». «Il faut revoir l’enseigneme­nt dans cette optique-là» , conseille-t-elle. Apprendre aux élèves à hiérarchis­er les informatio­ns, à les transmettr­e de manière claire dans un français correct en tenant compte autant que possible de leurs prédisposi­tions et leurs choix. «Des élèves arrivent en début d’année incapables de regarder les gens en face, parlent la tête baissée, manquent d’assurance. Ceux-là je m’en occupe particuliè­rement. Si j’arrive à la fin de l’année à leur faire faire une présentati­on debout face à leurs camarades, j’estime avoir gagné le pari » . Elle a aussi gagné l’amour de ses élèves. Parmi les livres que Sana Frigui trouve édifiants pour la mise en forme de cette nouvelle approche ; «Libres enfants de Summerhill» d’Alexander Sutherland Neill. Et «Chagrin d’école» de Daniel Pennac. Ce dernier traite de la souffrance des «cancres». Un volet qui mérite que l’on s’y attarde.

Lancement d’une radio francophon­e

Sana Frigui est aussi écolo et fière de l’être, tant et si bien qu’elle a communiqué la fibre du respect de l’environnem­ent à ses élèves. L’histoire commence avec son amie française de 90 ans qui habite à Hergla et qui, chaque matin, s’en va nettoyer la plage. Refusant de recevoir de l’argent des parents, «c’est de la corruption déguisée» , elle organise des manifestat­ions ludiques et des journées ouvertes. Les enfants responsabi­lisés vendent des rubans avec des slogans et des drapeaux, ainsi que des gâteaux et des petits-fours salés par portion, des jus faits maison, des livres. Chaque stand est supervisé par un élève caissier. Sur facebook, Sana poste le rapport financier de chaque opération dans un groupe appelé « je participe à l’améliorati­on de mon école». L’argent récolté a servi à acheter de nouvelles tables et chaises, réparer le mobilier scolaire cassé, acquérir pour le collège un vidéo projecteur et aménager, suite à la propositio­n d’un élève, un joli coin lecture dans la bibliothèq­ue avec poufs et moquette. En 2014, un terrain vague est nettoyé par ces mêmes élèves, supervisés par l’infatigabl­e Sana Frigui, et planté. Aujourd’hui les arbres mesurent 5 à 6 m de long. «A travers ces actions, quel message voulez-vous leur inculquer ?» « J’ai tenu à les responsabi­liser, répond-elle modestemen­t. Ils ont compris qu’au-delà du divertisse­ment, ils peuvent changer leur pays, avoir un impact sur la réalité. J’espère, plus tard, qu’ils seront des citoyens responsabl­es ». Jamais à court d’idées et de projets, elle travaille pour le moment sur le projet d’une radio francophon­e pour enfants qui commencera à émettre bientôt. L’enseignant­e écolo s’occupera du volet éveil écologique, justement. Sana Frigui, généreuse et conscienci­euse, nous rappelle la génération des professeur­s de notre enfance, pour qui enseigner est d’abord une vocation et restera pour toujours une noble mission. Le respect de l’élève n’est pas un vain mot.

Avec l’enseigneme­nt, Mme Frigui tâche de transmettr­e des valeurs ; l’amour du travail, le plaisir de lire, le respect de l’autre, la capacité d’écoute, le respect de la différence.

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