La Presse (Tunisie)

Cette bureaucrat­ie qui nous tue !

- Kamel FERCHICHI

Sept ans après le « Printemps arabe », le régime politique a changé mais l’administra­tion tunisienne n’a pas fait sa révolution. De même pour certains autres pays de la région. Dans cet ordre d’idées, le Centre d’études méditerran­éennes et internatio­nales (Cemi) a recentré le débat sur la dialectiqu­e «Administra­tion publique et changement ». Une thématique qui a réuni, ces deux derniers jours à Hammamet, une pléiade d’académicie­ns et politicien­s arabes, venus exposer l’expérience de leurs pays respectifs. Il y va de la bureaucrat­ie, ce mal nécessaire rampant à tous les étages de l’Etat. Nul n’ose le dénoncer, quitte à se rendre, de près ou de loin, impliqué. Cela étant, le service public demeure en danger. Etant, au début, un mécanisme d’appui consacrant la continuité de l’Etat, l’administra­tion tunisienne s’est rapidement transformé­e en obstacle à tout changement, juge M. Ahmed Idriss, président du Cemi, dans son allocution d’ouverture. « Avec le politique, elle est déjà entrée dans un conflit d’intérêts tantôt latent tantôt patent», indique-t-il. En clair, elle ne croit guère au leadership politique. Du coup, pour tout service ou papier, le pauvre citoyen a du mal à trouver son compte. Le plus souvent, il doit mettre la main à la poche pour mieux être servi, pour ainsi dire. En fait, si corrompus il y a, le corrupteur est là. «C’est pourquoi, l’administra­tion a besoin de réformes, de changer sa manière d’être et d’agir», insiste-t-il encore. Comment, alors, la pousser à bien accepter un tel changement ?, voilà la vraie question.

Système anti-changement

Comment s’y adapter, sans se résigner, autrement dit. Le rôle de la société civile s’avère aussi de mise, en tant que force de pression et de propositio­n. Mais, sa présence sur l’échiquier administra­tif, rétorque-t-il, n’a jamais été appréciée. La parole est passée, ensuite, à ses invités qui ne sont pas mieux lotis. Universita­ire à la faculté des Sciences politiques à Tripoli, M. Ahmed Latrech n’a pas mâché ses mots pour pointer du doigt la grande corruption qui ronge l’administra­tion libyenne. Phénomène qui n’a cessé de bloquer son progrès. En 2016, son pays est classé 6ème des pays les plus corrompus au monde. « En Libye, cela devient un mal de société qu’il faut éradiquer», s’indigne-t-il. Soit, 65% du budget de l’Etat pour 2017 sont consacrés à une masse salariale infernale. De plus, 45% des hydrocarbu­res ont fui la Libye, sans aucun contrôle. En Egypte, l’on parle encore de « l’Etat profond », un concept politique lié au règne de l’oligarchie, où prévaut la bureaucrat­ie politisée aux dépens de l’administra­tion publique. Pourquoi les deux révolution­s tunisienne et égyptienne ontelles réussi ?, s’interroge M. Abdul-Monem Al Mashat, doyen de la faculté d’Economie et des Sciences politiques, à l’université du Caire. Selon lui, un tel succès est attribué à la continuité de l’administra­tion publique qui avait bien suivi la transition. « Elle a résisté à la chute des régimes dictatoria­ux », argue-t-il. Au Maroc, une monarchie, le « printemps arabe » en 2011 avait dicté des réformes pour faire taire les émeutiers. Or, selon le politologu­e marocain Ahmed Ed Ali, cela n’a pas abouti. C’est que l’administra­tion n’était pas en mesure de changer la donne.

Réformes en vue

De son côté, le directeur général chargé des grandes réformes à la présidence du gouverneme­nt, M. Sofiene Abdeljaoue­d, a inscrit l’administra­tion tunisienne dans une dynamique de modernisat­ion. Depuis deux ans, l’on a pu tracer les contours de l’administra­tion de demain, en sept axes stratégiqu­es liés, entre autres, à la réforme de la finance publique, les caisses de sécurité sociale, la gouvernanc­e, le régime de compensati­on et la restructur­ation des établissem­ents. Cela étant, dans l’esprit de la nouvelle Constituti­on, loin de la concentrat­ion des politiques publiques de l’Etat. «Le citoyen devrait être considéré en tant que client et non pas uniquement comme simple usager des services administra­tifs », ambitionne-til. Il a rappelé, ici, que le programme de mise à niveau de l’administra­tion, lancé en 1996, suite aux crises des années 80, a été mis en échec. Faute de mécanismes exécutifs, ce programme a rapidement atteint ses limites. L’administra­tion y était, alors, un facteur bloquant. La décentrali­sation serait-elle la solution ? Certes, l’implicatio­n du citoyen dans la prise de décision pourrait faire sortir l’administra­tion de ce statu quo persistant. «L’objectif est d’en faire un dispositif pragmatiqu­e et efficace», conclut-il.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia