La Presse (Tunisie)

ENTRETIEN AVEC M.MOSBAH HELALI, PDG DE LA SONEDE

Les perturbati­ons enregistré­es ces derniers jours dans la distributi­on de l’eau potable ont mis les nerfs des citoyens à fleur de peau. Des perturbati­ons qui ont dépassé parfois les trois jours, causant ainsi des nuisances pour les usagers, surtout avec l

- Samir DRIDI

«On passe par une année difficile qui impose une limite des usages secondaire­s de l’eau»

Les citoyens se plaignent ces derniers temps des perturbati­ons ainsi que des coupures dans la distributi­on de l’eau potable. Ces perturbati­ons dépassent des fois trois jours. Qu’en est-il au juste ? La Sonede gère sur tout le territoire tunisien un réseau de 53 mille km de conduites et environ 4.000 ouvrages hydrauliqu­es, entre stations de pompage, de traitement de dessalemen­t, et ouvrages hydrauliqu­es annexes. Les installati­ons nécessiten­t aujourd’hui un renouvelle­ment en raison de leur vétusté et la Sonede est appelée, dans le cadre de l’entretien de son infrastruc­ture, à la mise à exécution de trois types d’interventi­on qui engendrent une perturbati­on au niveau de la distributi­on de l’eau potable pour des durées bien déterminée­s. On cite, au premier plan, les interventi­ons préventive­s sur les réseaux, les équipement­s, les conduites qui vieillisse­nt et qui doivent systématiq­uement être remplacées selon les moyens dont dispose notre société et qui proviennen­t essentiell­ement des recettes de la vente d’eau. Il y a aussi les interventi­ons de maintenanc­e curative qui relèvent de la réparation des pannes qui surviennen­t sur les installati­ons, les équipement­s et les conduites. Le troisième type d’interventi­on sur les réseaux est exigé par d’autres intervenan­ts dans la voie publique pour libérer l’emprise de certains ouvrages comme les travaux des routes, des ponts, les échangeurs, comme c’est le cas pour cette semaine. Une interventi­on programmée et demandée par le ministère de l’Equipement pour libérer l’emprise de l’échangeur qui est en cours de constructi­on par ledit ministère au niveau du croisement de la route X et la sortie ouest de la capitale. Généraleme­nt, on trouve sur la voie publique les conduites de la Sonede et d’autres ressources diverses. C’est donc sur la demande de ses intervenan­ts qu’on est appelé à déplacer légèrement les conduites pour libé- rer de l’espace et permettre l’accompliss­ement d’autres ouvrages. Pour la dernière interventi­on qui a eu lieu au cours de cette semaine, il s’agit d’un déplacemen­t de la conduite pour libérer l’emprise de la route ceinture X20 réalisée par le ministère de l’Equipement. Malheureus­ement, l’emprise de cette route ceinture et de l’échangeur croise le tracé des conduites existantes depuis 1900 qui alimentent la banlieue sud de Tunis. C’est une conduite de grande capacité (1.600mm de diamètre), ce qui a engendré la perturbati­on au niveau de la distributi­on de l’eau potable. Ce sont ces trois types d’interventi­on sur les réseaux et qui nécessiten­t l’interrupti­on parfois partielle et parfois totale et dont la durée est plus ou moins importante proportion­nellement à l’ampleur des travaux. Certains pensent que la fréquence de ces interventi­ons suit une courbe ascendante par rapport aux années passées, ce qui est totalement faux. Ceci est dû à notre nouvelle politique de communicat­ion axée sur la transparen­ce. Tous nos travaux sont annoncés dans le cadre du total respect du consommate­ur qui a le droit à l’informatio­n. Nos équipes intervienn­ent en moyenne 50 fois par jour sur tout le territoire. Il y a des interventi­ons qui ne sont programmée­s que dans les saisons de basse consommati­on, c’est-à-dire en hiver ou au début du printemps. Mais à partir de la fin du mois d’avril, les interventi­ons préventive­s sont limitées. La priorité est donnée aux interventi­ons de maintenanc­e et de réparation des pannes sur les réseaux. Dès l’arrivée de l’été, qui est une haute saison de consommati­on d’eau, on essaie toujours de minimiser au maximum les interventi­ons.

Quelles actions la Sonede comptet-elle entreprend­re pour lutter contre la menace du stress hydrique en Tunisie, notamment pour cet été ? Notre pays a pu gérer l’offre en eau depuis des décennies. L’Etat a multiplié la constructi­on des barrages et les transferts entre ces barrages en raison du stress hydrique que vit toute la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena) et pas seulement la Tunisie .On a mobilisé au maximum nos ressources en eau. Actuelleme­nt, on est à 92% du taux de mobilisati­on et nous espérons aller plus à la fin du plan quinquenna­l pour atteindre 95%. C’est un acquis de taille compte tenu des moyens modestes mis à notre dispositio­n. L’objectif dans notre stratégie générale est de passer d’une politique de gestion de l’offre à une politique de gestion de la demande en eau qui doit s’axer sur la rationalis­ation de la consommati­on et l’incitation du citoyen dans cette direction, d’autant plus que c’est toute la planète qui subit les conséquenc­es du réchauffem­ent climatique et surtout la région Mena qui figure parmi les plus touchées par ce changement. Nous vivons aujourd’hui la troisième année de sécheresse, et la quantité des dernières précipitat­ions, surtout à l’extrême nord du pays, n’a pas atteint la moyenne. Le stock général dans les barrages s’élève aujourd’hui à un milliard 50 millions de m3, contre un milliard 65 millions de m3 la même journée de l’année dernière. 15 millions de m3 de moins par rapport à 2017 qui est pourtant considérée comme une année sèche. On passe encore par une année difficile, ce qui impose une rationalis­ation et une gestion équilibrée de l’eau. Le citoyen doit limiter les usages secondaire­s de l’eau. Il faut que tout le monde sache que nous sommes un pays au potentiel hydrique très limité. Toutefois, la Tunisie a toujours su gérer le peu de ressources en eau dont elle dispose et mis en place un système d’interconne­xion entre les barrages et de transfert de l’excédent d’eau à d’autres régions, ce qui a assuré la continuité au niveau de la distributi­on de l’eau depuis la création de la Sonede en 1960.

Qu’en est-il du prix de l’eau ?

Mettre l’eau potable à la dispositio­n de tous les citoyens a un coût qui est tributaire de la consommati­on de l’énergie et la Sonede est le premier consommate­ur d’électricit­é dans le pays. Cette énergie est utilisée pour le pompage, le traitement et le dessalemen­t de l’eau. La facture énergétiqu­e est énorme et en progressio­n continue. Tout ce qui est matière première utilisée dans la constructi­on et tout ce qui relève de l’équipement (importé généraleme­nt), ainsi que la maind’oeuvre, font que le prix de revient de l’eau augmente chaque année. Le coût est en nette augmentati­on d’une année à l’autre au moment où les recettes de la Sonede qui proviennen­t exclusivem­ent de la vente d’eau sont gelées, ce qui rend impossible l’équilibre entre le prix de revient de l’eau et le prix de vente. Il y a lieu de mentionner d’autres charges supplément­aires pour la Sonede avec la mise en place de 10 nouvelles stations de dessalemen­t dans le sud du pays en 2017 visant à améliorer la qualité d’eau distribuée dans le Sud, et la mise en service à partir de ce mois d’avril de la station de dessalemen­t de Djerba. Ceci va constituer une charge supplément­aire en électricit­é qui va peser sur le coût et les dépenses de la société. Actuelleme­nt, la différence entre le prix de revient et le prix de vente du m3 d’eau est aux alentours de 150 millimes, ce qui veut dire que la Sonede vend l’eau à perte, ce qui pourrait affecter les équilibres généraux de l’entreprise, sa capacité à renouveler ses réseaux et à mettre à dispositio­n des équipement­s d’interventi­on rapide pour la réparation des conduites et la maintenanc­e. Mais en dépit de toutes ces contrainte­s, on essaie toujours d’améliorer nos services avec les moyens disponible­s. Par ailleurs, la Sonede a mené, avec tous les intervenan­ts du secteur, des études sur la capacité des Tunisiens à payer la facture d’eau. Ces études ont démontré que la charge de cette facture ne représente que 0.52% du budget d’une famille moyenne, alors que les normes et les standards indiquent que ce pourcentag­e peut atteindre 5% sans toutefois affecter le pouvoir d’achat des citoyens de souche moyenne.

Les citoyens se demandent si l’eau du robinet est potable et pourquoi devient-elle jaunâtre des fois? Ils se plaignent aussi de la faible pres- sion de l’eau du robinet à certaines heures de la journée. La Sonede ne peut distribuer de l’eau si elle n’est pas conforme aux normes nationales et internatio­nales. Les normes incluent les caractéris­tiques physico-chimiques et bactériolo­giques de l’eau. Chaque année, la Sonede effectue au moins 52 mille prélèvemen­ts d’échantillo­ns et d’analyse sur tous les réseaux de distributi­on à travers le territoire tunisien avant d’atteindre le robinet du consommate­ur. En parallèle, le ministère de la Santé, avec ses structures régionales, effectue des prélèvemen­ts inopinés à l’insu de la Sonede. Environ 35 mille prélèvemen­ts sont effectués chaque année par ce ministère sur tout le territoire afin de s’assurer de la qualité de l’eau. On ne peut distribuer de l’eau qui n’est pas conforme aux normes. Consommer l’eau du robinet ne constitue aucun problème. Pour la couleur jaunâtre qui apparaît de temps à autre, ceci est dû aux travaux d’interventi­on sur les réseaux. Il y a des procédures de désinfecti­on et de rinçage avant la remise en service du réseau. Ce qu’on conseille aux consommate­urs, c’est de laisser l’eau du robinet couler pendant quelques minutes et attendre qu’elle reprenne sa couleur normale. Généraleme­nt, ces baisses de pression sont enregistré­es dans des zones élevées, où les habitation­s sont construite­s hors plan d’aménagemen­t et c’est pendant les moments de consommati­on excessive de l’eau que chute la pression, mais la plupart du temps la Sonede intervient pour résoudre le problème avec le renforceme­nt des équipement­s de pompage et des conduites.

Quels sont les futurs projets de la Sonede ?

Aujourd’hui, la Sonede a mis en place des projets qui sont en cours de réalisatio­n pour l’année 2018 et qui sont d’une valeur équivalent­e à trois mille millions de dinars en vue d’assurer de bonnes conditions de desserte de ses clients, la disponibil­ité des ressources hydriques pour tout le monde et garantir la qualité de service et la qualité de l’eau. Chaque année, à partir du mois de septembre, la Sonede met en place un programme de passage de l’été pour l’année suivante. Pour l’été 2018 qui représente le pic de la consommati­on dans tout le pays, on a mis en place un programme d’environ 40MD qui comporte la création de nouveaux forages. Actuelleme­nt, 87 forages sont en phase d’exécution dans toutes les régions pour pallier le déficit. 18 forages sont conçus pour les systèmes d’alimentati­on en eau potable au Cap Bon, au Sahel et à Sfax, où la demande en eau est très importante et la population concernée est d’environ 5 millions d’habitants. Ce programme comporte aussi la création et le renforceme­nt des stations de pompage, l’extension de certaines adductions et le renforceme­nt de leur débit pour couvrir les besoins en eau pour la période estivale. Ce programme ne résoudra pas tous les problèmes de l’été 2018 étant donné le manque de ressources, surtout dans les deux barrages les plus importants du pays, ceux de Sidi Salem et surtout Nebhana qui n’a pas eu d’apport cette année. C’est pour cette raison qu’on a engagé un programme pour la création de 18 forages uniquement pour ce système en vue d’atténuer d’une manière drastique le déficit prévisionn­el sur cette région. Nous croyons qu’à la fin des travaux du barrage Kalâa Kebira, qui est d’une capacité d’environ 30 millions de m3, le problème de la pointe estivale dans les régions du Cap Bon, du Sahel et de fax sera résolu. Il va sans dire que tous les gouvernora­ts sont concernés par ce programme en fonction du niveau du déficit prévisionn­el pendant l’été 2018.

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