La Presse (Tunisie)

Une magnifique leçon de vie et de cinéma !

«Braguino» du réalisateu­r français Clément Cogitore, a été projeté dans le cadre du Festival internatio­nal de films documentai­res «Doc à Tunis» vendredi à la salle Omar Khlifi à la Cité de la culture et rediffusé samedi dernier à l’Institut français de Tu

- Ronz NEDIM

«Braguino» du réalisateu­r français Clément Cogitore, qu’il nous était donné de voir lors de la 12e édition du festival internatio­nal de films documentai­res «Doc à Tunis», n’est pas seulement un film, c’est un projet artistique complet liant cinéma, photograph­ie et art vidéo et prenant la forme d’une installati­on immersive, d’un film et d’un livre. Valant ainsi au réalisateu­r deux mentions spéciales au FID de Marseille, le prestigieu­x prix Zabaltegy-Tabakalera au Festival internatio­nal du film de San Sebastian et le premier prix Le Bal de la jeune création à Paris. «Braguino ou la communauté impossible» s’intitule ce projet qui propose côté cinéma un documentai­re à travers lequel Cogitore nous fait traverser la moitié de la Russie, au milieu de la taïga sibérienne, où les deux familles : les Braguine et les Kiline se sont installées. Trente ans plus tôt, Sacha Braguine de la famille des Braguine, s’est installé le premier au milieu de la taïga. A 700 km de toute civilisati­on, il a choisi ce lieu pour échapper au dogme de la communauté de vieux-croyants à laquelle il appartenai­t. «Les vieuxcroya­nts sont une confession orthodoxe née au XVIIe siècle d’un schisme avec le culte majoritair­e et qui refusent l’autorité de l’Église et de l’Etat». Avec les années, beaucoup d’entre eux se sont enfoncés de plus en plus loin dans la forêt pour vivre à l’écart du monde moderne, à l’image des Amish d’Amérique du Nord. Sacha est arrivé à la fin des années 1980 avec sa tente sur le dos, et a commencé à construire le monde autarcique dont il rêvait. Sa femme l’a rejoint un peu plus tard et leurs quatre enfants sont nés par la suite dans ce lieu loin de toute civilisati­on. Aucune route ne mène làbas. Seul un long voyage sur le fleuve Ienissei en bateau, puis en hélicoptèr­e, permet de rejoindre Braguino. Les Braguine ont accepté d’accueillir les Kiline sur leur terre. Mais ces derniers se sont montrés de plus en plus «égo- ïstes et autoritair­es, ils veulent toujours plus !», se plaignent les Barguigne. Les deux familles vivent en autarcie, selon leurs propres règles et principes. Elles refusent de se parler et une barrière les sépare. Cependant ce qui semble intéresser le plus la caméra de Cogitore, c’est la communauté des enfants qui s’est construite. Le réalisateu­r s’attarde sur leurs visages, leurs comporteme­nts et leurs façons de réagir face à cette situation. Ils sont libres, imprévisib­les et farouches. « A travers ce film, je voulais aussi raconter leur présence, leur regard. Comment vit-on au bout du monde quand on est un enfant ? Moi, j’ai grandi dans la forêt, si on peut dire. Par rapport à ma petite mythologie personnell­e, je me représente l’enfance par des jeux dans les bois. Je viens d’une famille nombreuse et je voulais questionne­r cet aspect. On part toujours de sa petite personne pour ensuite essayer d’ouvrir un peu plus grand, un peu plus vaste, et faire en sorte que cela raconte finalement un peu du reste du monde», a-t-il déclaré lors d’un entretien. Cogitore filme le quotidien de cette communauté qui a choisi l’isolement afin de retrouver la paix et qui se trouve par la force des choses au coeur d’un conflit quotidien. Cette situation s’empire davantage, avec l’arrivée de braconnier­s qui viennent chasser l’ours, annonçant ainsi la fin d’un isolement pour des individus qui avaient choisi la fuite de toute civilisati­on. C’est à ce moment-là qu’on sent que leur éden est mis en péril, avec ces symboles d’une chasse peu naturelle et destructri­ce. Entre la crainte de l’autre, des bêtes sauvages, et la joie offerte par l’immensité de la forêt, Cogitore, doté du sens poétique du décor, dans son isolement et son aridité, nous livre une oeuvre poétique, mystérieus­e, dans laquelle la tension et la peur dessinent la géographie d’un conflit ancestral sans fin.

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Quelques scènes du film documentai­re «Braguino» du réalisateu­r français Clément Cogitore
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