La Presse (Tunisie)

Les maladies des plantes en forte augmentati­on partout dans le monde

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La conférence internatio­nale sur l’émergence des maladies des plantes en Europe qui s’est tenue récemment à Paris tire la sonnette d’alarme. Le réchauffem­ent climatique et surtout les échanges internatio­naux favorisent l’introducti­on de pathogènes des plantes.

Inquiétude, impuissanc­e, désabuseme­nt. Ce sont les sentiments qui prévalent à l’issue des deux jours de débats organisés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), les 23 et 24 avril à Paris. Le constat est alarmant. Jamais les bactéries, virus, champignon­s, insectes ravageurs des plantes n’avaient aussi facilement voyagé à la surface de la Terre. Selon les travaux d’Alain Roque, directeur de recherche à l’Inra, on comptait environ deux arrivées de nouvelles espèces d’insectes par an en Europe avant la Seconde Guerre mondiale. On dépasse aujourd’hui les 20 introducti­ons annuelles! Le réchauffem­ent climatique est l’une des causes de ce phénomène. «Les organismes des zones subtropica­les trouvent désormais dans les zones tempérées des conditions nouvelles favorables comme des hivers doux qui leur permettent de s’installer» , note Alain Roques. Mais il semble que le principal moteur, c’est l’homme lui-même. «Pour la seule année 2012, le volume des exportatio­ns agricoles mondiales a augmenté de 60%, ce qui donne autant d’occasions supplément­aires de voyager à des pathogènes qui par ailleurs profitent de la rapidité des transports pour survivre au voyage» , a expliqué Jingyuan Xia, du Secrétaria­t de la Convention internatio­nale pour la protection des végétaux. Par ailleurs, les systèmes alimentair­es deviennent homogènes, imposant à l’agricultur­e des variétés semblables victimes des mêmes maladies partout dans le monde.

Une agricultur­e homogène favorise la multiplica­tion des pathogènes

Empêcher l’introducti­on et la disséminat­ion de ces espèces invasives menaçantes pour les récoltes et donc pour l’alimentati­on de l’huma-

nité devient donc de plus en plus difficile. Créée en 1951, l’Organisati­on pour la protection des plantes européenne­s et méditerran­éennes (Oepp) peine de plus en plus à remplir sa mission malgré l’améliorati­on des systèmes d’identifica­tion des espèces nuisibles et les progrès accomplis en matière d’alerte des 51 Etats européens membres. C’est que l’ennemi est ubiquitair­e, changeant et sournois. «Nous avons bien du mal à anticiper les invasions parce que nous faisons face à des organismes qui souvent ne sont pas pathogènes dans leur région d’origine parce que les plantes ont co-évolué avec la maladie et en ont minoré les conséquenc­es, ou bien parce que les ravageurs sont tout simplement inconnus et n’ont pas été décrits par la science» , explique Françoise Petter, directrice adjointe de l’Oepp. L’Oepp fonctionne sur le principe de listes d’alerte d’arrivée probable de nouvelles espèces. Les ravageurs identifiés sur un autre continent pour lesquels il est urgent de tout faire pour qu’ils n’entrent pas en Europe font l’objet de mesures d’interdicti­on d’importatio­n de plantes suscep-

tibles d’être infectées, d’obligation­s de traitement du matériel végétal, et d’établissem­ents de certificat­s végétaux garantissa­nt l’innocuité des plantes, bois, matériaux vivants importés. Mais une fois que l’introducti­on est constatée, l’organisme sort de la catégorie des alertes pour entrer dans celle des organismes qu’il faut désormais combattre sur le territoire.

Le commerce, principale porte d’entrée des maladies invasives

Ces échecs sont nombreux. Inscrite sur la liste d’alerte précoce en 1981, la bactérie Xylella fastidiosa a été repérée en 2013 en Italie sur des oliviers et a été retrouvée depuis en Corse et en région Provence en France, dans les Baléares et la région de Valence en Espagne, la diffusion se faisant par la commercial­isation de végétaux. La mineuse de la tomate (Tuta absoluta) a été inscrite sur la liste d’alerte en 2004 et a été détectée en Europe en 2007. La mouche Drosophila suzukii déclarée dangereuse pour les arbres fruitiers en 2010 a été repérée dès 2011 et affecte depuis principale­ment les cerisiers. A chaque fois, l’invasion s’est opérée par le commerce de semences ou de végétaux. Mais parfois rien ne semble pouvoir arrêter la diffusion du pathogène. Chercheur au Cirad, Didier Tharreau est particuliè­rement inquiet de la possible arrivée en Europe de la pyriculari­ose du blé. Cette maladie a émergé au Brésil avec un «saut d’hôte». «Présent sur les Lolium, famille de l’herbe des gazons mais aussi des herbes communes, le champignon Magnaporth­e oryzae a affecté soudain le blé, générant une maladie qui a fait perdre 30% de rendement au Brésil dès 2010, raconte Didier Tharreau. Un probable commerce de semences a fait que la pyriculari­ose a émergé en 2015 au Bengladesh puis en Inde» . L’Oepp a donc émis une alerte précoce, mais est-ce bien utile? La pyriculari­ose a en effet été diagnostiq­uée en Europe… sur le gazon. La maladie est responsabl­e de la dégradatio­n rapide des pelouses des stades de football ! «Nous devons donc désormais nous consacrer à la surveillan­ce du champignon pour détecter rapidement s’il y a un nouveau saut d’hôte sur le blé européen» , redoute Françoise Petter. L’agricultur­e va donc devoir lutter contre ces nouveaux ravageurs alors que la dangerosit­é des produits chimiques sur l’environnem­ent et la santé humaine est de plus en plus prouvée. Les chercheurs se tournent ainsi vers l’agro-écologie. La diffusion des pathogènes est en effet facilitée par le fait que les cultures se font à partir d’une seule variété. Une des réponses consistera­it donc à favoriser le semis de population­s de plantes génétiquem­ent non homogènes pour freiner les épidémies. La lutte biologique semble par ailleurs le moyen le plus prometteur de limiter les infestatio­ns de ravageurs.

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La diffusion des pathogènes est facilitée par le fait que les cultures se font à partir d’une seule variété

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