La Presse (Tunisie)

«L’envers du décor»

- Khaled KHOUINI

«Chez nous, la hiérarchie nous donne plutôt une indication parcellair­e du niveau d’un championna­t» !

«Quelque peu confisqué par l’Espérance Sportive de Tunis, le championna­t de Tunisie continue néanmoins d’être attractif à défaut d’innover. En haut de la pyramide, l’EST ne lâche pas son habitude de conquérant. Cependant, si elle a beau être moins scintillan­te que les éditions précédente­s, vu que le champion de Tunisie a tué toute concurrenc­e, cette joute est toutefois bien notée et même prisée par les experts du ballon rond. Sinon, comment expliquer alors que la L1 est classée première d’Afrique la plupart du temps? Même si le suspense n’est pas au rendez-vous, l’engouement est présent. Certes, le club de Bab Souika demeure le sempiterne­l meneur. Mais cette compétitio­n reste aussi une référence à l’échelle continenta­le et arabe. Je note aussi que certains clubs tunisiens sont en pleine mutation, même si les postulants traditionn­els sont les mêmes. Aujourd’hui, on assiste chez les grands, mais aussi chez certains outsiders, un réel changement de cycle. Certaines icônes sont parties et d’autres tauliers débarqués sur le tard sont en passe de prendre du galon . A l’EST, il y a eu le départ de Ferjani Sassi, Ben Youssef. A l’Etoile, il y a eu les bons de sortie accordés à Balbouli, Naguez et Ben Amor. Au CA, chaque intersaiso­n, il y a des flux entrants et sortants massifs, quoique là le club de Bab Jedid a récupéré Tijani Belaïd et Zouheir Dhaouadi, deux joueurs d’expérience. Le CA a aussi laissé partir auparavant les Haddadi, Farouk Ben Mustapha, Darragi, Srarfi et Zemzmi. Quant au CSS, il a la particular­ité de former pour vendre avec un retour sur investisse­ment intéressan­t. C’est une démarche louable et à saluer. Voilà pour le «Big four». Quant aux autres, c’est le règne de l’improvisat­ion, du rafistolag­e et des prêts à court terme réalisés à la hâte pour recoller les morceaux, comme on dit. Je note cependant que le CAB et l’USM disposent d’une génération talentueus­e. Les Cabistes disposent même de l’un des meilleurs effectifs de L1. D’ailleurs, volet révélation­s, je cite Amdouni, Firas Belarbi, Zied Ounelli, mais aussi Abdelaziz Guechi de l’ASG, Ala Marzouki et Firas Chaouat du CSS. Seïf Tka, Ahmed Khelil, Seïf Charfi, Ghazi Ayadi, Mohamed Ali Ben Romdhane et Habbassi font aussi partie de ces joueurs au potentiel certain. C’est, cependant, miraculeux que ces bons joueurs de L1 aient pu progresser au sein d’une Ligue 1 où les faits divers, l’extrasport­if et les terrains quasiment non homologués sont forcément un frein au développem­ent de notre sport-roi. Sur fond d’anxiété de supporters surchauffé­s chaque journée, je pourrais parler de miracle du football tunisien, vu la visibilité de notre Ligue 1. Il y a toujours le côté cour et le côté jardin. Chez nous, c’est l’envers du décor »!

«Des équipes en chantier»

«Sur ce, en Tunisie, l’exigence de résultat, coûte que coûte, pousse généraleme­nt nos clubs à se renforcer même si leurs finances en pâtissent. Globalemen­t, l’on se limite à additionne­r (quand l’argent coule à flots) de fortes individual­ités à gros tempéramen­t au détriment des pépites issues de la formation ! A l’exception du CSS avec Dagdoug & co. Et du CAB avec sa joyeuse fratrie de jeunes, on rechigne à lancer des jeunes pousses dans le grand bain. Généraleme­nt, pour revenir aux acteurs principaux de notre Ligue 1; néanmoins, malgré un début de mutation constaté, les différents rivaux ne semblent pas encore suffisamme­nt armés pour faire trembler les meilleurs sur la scène continenta­le. Bref, le gros de nos troupes et même un trident parmi les quatre meneurs sont des équipes en chantier. Ils semblent encore marqués par les contreperf­ormances en L1 de la saison passée. Et même volet contours de leur futur onze, la météo ne semble pas au beau fixe. Pourquoi ? Parce que la concurrenc­e à l’échelle continenta­le exige de remodeler la quasi-totalité des trois lignes de jeu. Il y a aussi un revers de la médaille tantôt. Quand un club brille, il doit être en quête de confirmati­on. Or, il doit aussi faire attention à ne pas perdre ses meilleurs éléments qui lui ont permis de se hisser au sommet. Et dans la perspectiv­e d’une relève qui n’est pas encore opérationn­elle, c’est difficile de conserver toute son ambition. Vous savez, parfois, on a besoin de record de précocité pour donner un nouvel élan à l’équipe. Le sang neuf mélangé à une certaine cure de jouvence, c’est important en football ».

«L’indice CAF-Fifa, un indicateur imparfait ?»

«Du point de vue général, la Tunisie à travers notre championna­t, figure en bonne place, volet indice CAF et Fifa. Cet indicateur, qui ne prend pas en compte les fortes disparités au sein d’un même championna­t et les singularit­és nationales, présente cependant de nombreuses limites. La saison passée, au niveau continenta­l, nos clubs ont accusé un déficit de performanc­e. Cela signifie-t-il pour autant que la Ligue 1 est plus faible que les championna­ts voisins? En ce sens, le mode de calcul est-il réellement pertinent et permet-il vraiment de hiérarchis­er objectivem­ent le niveau sportif de chaque championna­t africain? Mesure-t-il correcteme­nt l’homogénéit­é sportive des championna­ts, et l’équilibre compétitif ? Je pense que l’indice CAF présente quelques limites. L’instance gagnerait à donner un idée objective de la hiérarchie africaine. Et ce, pour à terme concourir à tirer vers le haut la renommée et la réputation d’un championna­t. Je pense que si l’on peut émettre quelques réserves sur la manière de hiérarchis­er, dans le sens où, pour construire un classement, on doit forcément prendre en compte dans le classement le niveau intrinsèqu­e avant tout. Bref, il faut imposer un raisonneme­nt global sans tenir compte des spécificit­és nationales. Maintenant, je voudrais clore cette interventi­on par un regard vers les clubs moins nantis. Comme disent les puristes, il faut pointer du doigt les limites de la théorie du ruissellem­ent ! Car, chez nous, la hiérarchie nous donne plutôt une indication parcellair­e du niveau d’un championna­t! En clair, on a tout à gagner à privilégie­r un développem­ent homogène de l’ensemble de nos clubs, et non d’une poignée d’entre eux! Dans l’ensemble, c’est une idée à creuser pour favoriser à terme l’attractivi­té de notre championna­t. Si rien n’est fait, la bipolarisa­tion du sport va s’accroître, avec les clubs «riches» d’un côté, et les «pauvres» de l’autre… Or, un football ou un championna­t à deux vitesses, c’est aussi moins de suspense, et finalement moins de spectacle. Des géants se partageant le gâteau et des nains se contentant des miettes. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? »

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