La Presse (Tunisie)

Le patriote révolté

«C’est notre pays, c’est à nous de le servir quel que soit son état. Nous n’allons quand même pas amener des étrangers pour le remettre sur les rails ?»

- Par Hella LAHBIB H.L.

Hamdi Hached né à Tunis, trentenair­e, célibatair­e, ingénieur en environnem­ent et sciences de la mer, coordinate­ur de projet auprès de la Fondation allemande, Friedrich Neumann. C’est un chercheur. Depuis enfant, il aime la nature, la mer, la verdure, le jardinage, cultivant une préférence pour les cactus. «Pourquoi ?», «Très résistants et colorés, ils stockent dans leurs tissus des réserves pour faire face aux longues périodes de sécheresse. C’est une forme de résistance naturelle». Les cactus résistent et lui ? L’oeil toujours aux aguets, il constate, amer, la régression de la couverture végétale et forestière dans toute la Tunisie ; nous sommes en train de perdre notre écosystème, regrette-t-il. En Robin des bois des causes difficiles, il ne s’offre aucun répit pour défendre celle dont la voix est ténue parmi nous ; mère nature. Sur son chemin, le jour de l’interview, (mardi 1er mai, Ndlr) ; «J’ai vu quelqu’un couper un olivier dans son jardin pour faire une extension. Je me suis arrêté et j’ai discuté avec lui pour essayer de l’en dissuader. Finalement il m’a promis que l’olivier sera remplacé par un autre arbre plus tard ».

Une main-d’oeuvre qui ne veut pas travailler

Les arbres et palmiers qui décorent les villes se trouvent dans un piteux état, non seulement par manque d’eau et d’entretien mais à cause des incivilité­s de toutes sortes. «Les arbres ont des âmes, communique­nt entre eux et souffrent donc.» On écrase dessus des cigarettes, mais pas seulement. Les jardins publics sont tout aussi malmenés. La quantité d’eau nécessaire pour l’arrosage n’est pas énorme, apprendon. La pénurie en maind’oeuvre, qui plus est «chère et ne veut pas travailler», contribue à la désolation généralisé­e des espaces verts urbains. Pourtant, Hamdi Hached trouve à tout le monde des circonstan­ces atténuante­s. Aux «Tunisiens en train de développer une réelle sensibilit­é éco-citoyenne», aux autorités qui font des efforts, à la police de l’environnem­ent «qui compte seulement une année d’activité.» L’ingénieur a formé lui-même près de 200 agents de cette police. Cet altruisme s’alimente d’une source objective ; «à chaque fois que je perds espoir, je rencontre des cas qui me remontent le moral, me redonnent espoir. Les gens font de la résistance, ceux-là mêmes qui font fleurir de petits espaces et leurs balcons». Hamdi Hached travaillai­t avec Airbus en Malaisie, en collaborat­ion avec des laboratoir­es relevant d’université­s malaisienn­es. Ses recherches se concentren­t autour du développem­ent de biocarbura­nt extrait des algues maritimes. «En Tunisie, les investisse­urs financent les recherches sur la micro-algue à des fins médicales et alimentair­es». L’ingénieur, lui, travaille sur la macro-algue qui est développée à l’échelle internatio­nale mais accuse un grand retard au niveau local. Son brevet est actuelleme­nt à la phase expériment­ale.

Le discours défaitiste et démoralisa­nt

Plusieurs flèches à son arc, Hamdi est aussi guide écotourist­ique. Il fait visiter aux touristes, essentiell­ement locaux, le pays, à travers les sites archéologi­ques, les parcs naturels, les lacs, les côtes. «Il y a une forte demande des Tunisiens ». Un regret, cependant, le Sud-est qui est très beau, «Médenine, Tataouine, Beni Khedache» , est quasi-méconnu. Depuis son retour de Malaisie en 2014, il a intensifié les cycles de formation pour les jeunes, les journalist­es et la police municipale, c’est à travers eux qu’il essaye d’exercer son influence. Habituelle­ment indulgent, Hamdi devient un gros dur contre le discours défaitiste, culpabilis­ant, et, à terme, démoralisa­nt, du style : «Nous les Tunisiens, on ne vaut rien ; nous les Arabes, on ne fait rien de bon ; la Tunisie est un pays perdu, irrécupéra­ble…» . A chaque fois que je rencontre des personnes qui parlent de la sorte, je n’hésite pas à provoquer des clashs, lâche-t-il. C’est notre pays, c’est à nous de le servir quel que soit son état, s’insurge révolté, le pourtant très pondéré Hamdi Hached. Et de poursuivre : «Nous n’allons quand même pas amener des étrangers pour le remettre sur les rails ?». Si critiquer positiveme­nt et proposer des solutions sont un exercice constructi­f et salutaire, les sociétés qui ne s’aiment pas, comme serait le cas de la nôtre, aiment se complaire dans l’autodérisi­on, et, plus grave, l’auto-flagellati­on. Ce qui ne manque pas de révolter notre héros du jour, ce patriote à la fois calme et révolté..

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