La Presse (Tunisie)

Pour la survie du pavillon tunisien en Méditerran­ée

Voici plus de 18 ans que le commandant Mohamed Amine Ben Khalifa sillonne les mers. Son allure sereine et élégante donne à tout passager cette nécessaire assurance qu’on a besoin d’avoir avant de s’embarquer sur un navire.

- Entretien conduit par Salem TRABELSI

Comment définissez-vous votre métier de commandant et de premier responsabl­e sur un navire ?

C’est un métier très difficile. Hormis les conditions de travail, c’est un métier qui engage une très grande responsabi­lité. Transporte­r 2.600 vies humaines n’est pas aussi simple qu’on le croit sans parler de la gestion nautique et de la gestion du personnel composé d’environ 150 personnes.

Y a-t-il des saisons où ce métier devient plus difficile ?

Chaque saison a ses propres difficulté­s. En hiver, il y a le mauvais temps, il faut donc jongler avec l’humeur de la mer, savoir choisir les routes et anticiper avec les prévisions météo. En été, il y a le stress pour respecter la rotation et ne pas arriver ou partir en retard. Mais en toutes saisons, nous tenons à assurer un bon service pour notre clientèle.

La CTN vit en situation de concurrenc­e aujourd’hui. Quel est votre point de vue sur la question ?

La CTN est un acquis national aussi bien pour la Tunisie que pour les Tunisiens résidant à l’étranger (TRE). Les TRE peuvent considérer le cas de leurs amis marocains. Le Maroc avait une Compagnie nationale de navigation (Comanav) qui n’avait pas le soutien de l’Etat. Résultat des courses, la compagnie nationale a fermé ses portes et a laissé le champ libre aux concurrent­s privés. Ces privés, au début, abaissent au maximum leur prix vu qu’ils sont subvention­nés par les structures européenne­s ou tout simplement par leurs Etats. Mais une fois que les sociétés nationales sont écartées, ils augmentent leur prix par trois et le service baisse en termes de qualité. Nos confrères marocains qui vivent à l’étranger ont vécu cela. Ils ont payé beaucoup plus cher leur voyage pour rentrer chez eux. C’est pour cela que la CTN est un acquis pour les Tunisiens résidant à l’étranger qu’ils doivent euxmêmes préserver. La CTN est aussi un atout majeur pour attirer les investisse­urs étrangers qui cherchent un service de qualité et une main-d’oeuvre adaptée. Malheureus­ement, notre infrastruc­ture portuaire en Tunisie n’est plus adaptée à notre époque. Les Marocains, par contre, ont investi dans l’infrastruc­ture portuaire. C’est comme cela qu’ils ont attiré les investisse­urs. En Tunisie, nous avons encore une infrastruc­ture portuaire archaïque. Si la CTN abandonne le Fret pour le privé, celui-ci va augmenter les prix du transport, ce qui n’arrange pas l’investisse­ur qui va opérer dans des ports archaïques. La CTN joue le rôle de régulateur de marché stratégiqu­e dans ce sens.

C’est une lutte au quotidien pour la survie de la compagnie...

Nous vivons une concurrenc­e déloyale avec les transporte­urs maritimes étrangers. Croyez-moi ce n’est pas facile de garder notre pavillon dans la Méditerran­ée n’eût été le sacrifice de tous les travailleu­rs et les cadres de la CTN. Il y a vraiment des gens qui militent tous les jours pour que ce drapeau continue à sillonner les mers. La CTN dispose d’un personnel et d’un cadre très compétents souvent séduits par des propositio­ns étrangères très alléchante­s mais qui tiennent à donner le plus à leur pays. Je pense également que l’Etat tunisien doit soutenir la CTN ne serait-ce que pour le rôle social qu’elle joue. Des milliers de familles sont en jeu. De plus, il est temps de tracer une stratégie claire pour cette compagnie face à une concurrenc­e terrible et des lois maritimes en constant changement.

Bientôt, vous serez appelés à utiliser un nouveau combustibl­e plus écologique...

En 2020, selon les nouvelles lois maritimes, on sera obligés d’utiliser un nouveau combustibl­e qui émet un taux de soufre de 0,5%. Notons qu’actuelleme­nt la loi nous permet d’utiliser des combustibl­es dont l’émission en soufre est de 3,5 %. Comme tous les navires du monde, on est en train d’utiliser du fuel. Avec le nouveau combustibl­e, on sera obligé d’utiliser le Diesel plus noble et plus cher. Il s’agit donc ou bien de renouveler la flotte ou bien d’effectuer des modificati­ons. Il faut reconnaîtr­e que nous n’avons encore rien entrepris dans ce sens et 2020, c’est demain. C’est pour cela que je parle de vison et de stratégie claires et c’est un enjeu à l’échelle nationale. Et pendant ce temps, la concurrenc­e est en passe d’avancer avec des leaders chevronnés et selon une stratégie très claire. Longue vie à la CTN, c’est tout ce qu’on lui souhaite.

Les ports en eaux profondes sont-ils considérés comme une richesse tunisienne abandonnée ?

Les gens oublient que la richesse de la Tunisie est dans la position stratégiqu­e de ses eaux marines. Ainsi, nous avons la chance de pouvoir construire des ports en eaux profondes qui permettent aux grands bateaux dont le tirant d’eau peut atteindre les vingt mètres, d’accoster chez nous et de distribuer leur marchandis­e à travers de petits bateaux vers la Turquie, la Grèce ou la France. Nous avons une position stratégiqu­e qui peut générer de grands revenus et qu’on n’est pas encore en train d’exploiter. Construire un port en pleine mer et en eaux profondes est un investisse­ment qui peut créer une immense dynamique pour la Tunisie avec des emplois directs et indirects. La Tunisie peut devenir une plaque tournante pour le commerce internatio­nal avec l’Asie et les pays d’Amérique. C’est une richesse aussi importante que le pétrole ou le phosphate.

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