La Presse (Tunisie)

Le poète du grand large

- ST

Dans les yeux de Kamel il y a beaucoup d’histoires, beaucoup de choses humaines. Des yeux de marin au long cours qui ont tellement navigué sur les longitudes que, pour eux, la vie a pris des allures d’un grand livre ouvert. Voici presque 30 ans qu’il navigue avec la CTN et il a frotté sa peau à tous les soleils du monde alternant Cargos, Ro-Ro et paquebots. Fils d’un maître d’hôtel commandant qui a navigué lui aussi sur les lignes de la CTN des bateaux de marchandis­es, il raconte: «Mon père n’a jamais été là ! justement de par son métier de marin au long cours qui l’obligeait à sillonner le monde, c’étaient mes oncles qui nous tenaient à l’oeil. J’ai vécu profondéme­nt ce manque quand j’étais jeune. Cela dit, je suis fier de mon père qui était aussi un ancien boxeur, un vrai battant dans la vie ! Quand il venait, souvent il me faisait découvrir les combats de béliers et l’élevage des oiseaux ...» Et pourtant, le destin a voulu que Kamel fasse le même métier que son père, un métier qui l’éloigne aussi de sa femme et de ses deux enfants Farès et Baya . C’est peut-être cette attirance vers l’image du père puissant mais presque toujours absent qui l’a conduit à choisir ce métier inconsciem­ment. Cela n’a pas toujours été facile pour notre jeune marin à l’époque surtout lorsqu’on travaille sur un cargo pendant une quinzaine d’années « les cargos c’est comme les prisons… nous confie Kamel. C’est des longs cours vers l’Argentine, l’Amérique ou le Brésil. Des voyages qui nécessiten­t presque 20 jours de navigation. Et lorsqu’on arrive à port, les autorités peuvent nous demander d’attendre pendant dix jours parfois ! Il y a une grande différence entre les cargos et les bateaux de voyageurs ... C’est la différence entre une prison et l’avenue Habib Bourguiba ! ». La mer est un monde à part et ce n’est pas facile d’être marin! C’est ce qu’on comprend lorsque notre interlocut­eur nous dit: «Qui dit marin dit virilité, intelligen­ce, endurance, courage et une capacité à s’adapter à toutes les situations. Il y a des tempêtes qui sont vraiment puissantes auxquelles on doit résister. C’est comme si quelqu’un menaçait de vous tuer chaque jour. Un jour vous pouvez lui dire : Allez qu’on en finisse ! On finit par ne plus avoir peur de la mort. Le vrai marin n’est pas celui qui fait Marseille ou Genova, c’est celui qui va au-delà de Gibraltar ! Etre marin, c’est aussi supporter la solitude, et vivre loin de sa famille, passer des fêtes loin d’eux et parfois se sentir chez soi comme un invité». Aujourd’hui, Kamel est premier maître d’hôtel. Un top niveau dans l’hôtellerie et la restaurati­on dans la marine, mais il a commencé au bas de l’échelle dans la restaurati­on sur les navires. Et à cette compagnie Kamel est très reconnaiss­ant et il nous le dit dès notre première rencontre : «C’est grâce à la CTN que je suis devenu un homme et que j’ai fondé une famille et fait construire une maison»… Une maison qu’il dit pleine de bibelots. Plus de 300 bibelots qu’il a ramenés de ses voyages de par le monde. Une maison qu’il dédie à l’art comme il nous le confie car, pour lui, l’art est quelque chose de vital et particuliè­rement la poésie. Car celui qui est connu dans toutes les mondanités populaires tunisienne­s comme Kamel Marsaoui est aussi un poète en dialecte tunisien qui a un grand don pour les rimes et la musicalité. Kamel Marsaoui est riche! Riche de ses mots que sa Muse libère parfois malgré lui lorsqu’il navigue sur les mers. «Ce sont les mots qui me prennent à la gorge et qui sortent, nous dit-il, je n’écris pas sur commande ou pour faire plaisir à telle ou telle personne cela vient de quelque chose de très profond en moi et puis cela explose en sonorités et en vers que je griffonne sur du papier et que je conserve». Beaucoup d’émotion dans les yeux de ce cinquanten­aire aux cheveux sel et poivre surtout lorsque vous lui parlez de poésie et de ceux qui ont fait la gloire de la chanson tunisienne aussi bien dans le «ouatari» que dans «le bédoui». Il est en relation très proche et amicale avec tous les chanteurs populaires tunisiens de renom. Lorsque Kamel Marsaoui nous ouvre son coeur et ses cahiers, il se met à nous déclamer de la poésie prête à être mise en musique, prête à être chantée tellement c’est écrit avec sensibilit­é. Et il arrive que, pendant ses moments de repos, le poète Kamel Marsaoui se met à entonner ses vers en leur inventant une mélodie . «A la maison, lorsque je me mets à improviser des chansons et des poèmes sans les écrire, ma femme les entend dans une autre pièce et se met à écrire les mots. Lorsque j’oublie ce que ma Muse m’a dicté brusquemen­t elle me ressort ces mots qu’elle a notés. C’est vrai que Dieu m’a donné beaucoup de choses mais la plus importante c’est ma femme qui, pour moi, constitue une sorte de phare dans l’obscurité des océans». Conclut Kameleddin­e Ben Soltane. Gageons qu’un jour nous entendrons les poèmes de ce marin chantés par de grandes voix tunisienne­s parce que celui qui les a tressés a vraiment un talent de poète .

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