L’illusion de réussite par le football moderne
Les facteurs d’adaptation sportive, mais aussi culturelle, empêchent encore beaucoup de joueurs africains et tunisiens d’émerger dans le football européen. Le contrôle et le suivi médical, devenus au fil du temps un critère déterminant dans le choix des joueurs, sont aussi pour beaucoup dans l’échec de ceux qui sont passés au professionnalisme. La plupart sont victimes de l’illusion de la réussite par le football moderne. Ils sont restés trop tunisiens et peu européens. Ils ont oublié, et continuent encore de le faire, que lorsque les clubs européens achètent des joueurs, ils réfléchissent en premier lieu aux opportunités de revente. Ces clubs sont carrément adeptes de la thèse industrielle (matière première-transformation-vente du produit fini). Le cas de Abdennour est à lui seul une bonne matière à réflexion. Son avenir est de plus en plus incertain. D’autres joueurs avant lui avaient connu le même sort. Notamment ceux qui ont réussi à faire un nom grâce à la CAN 2016, ou encore celle de 2004 remportée par la sélection tunisienne.
Les joueurs tunisiens ne sont pas très demandés, et encore moins sollicités dans les championnats européens. Il y a le symbole, la représentativité. Il y va aussi de l’image du football tunisien et de ses clubs, de sa sélection, des centres de formation. A l’exception de quelques réussites, façonnées par des profils bien déterminés et dans des contextes bien particuliers, le taux d’échec est important. Ceux qui sont parvenus à faire de leur reconversion une carrière se comptent sur les doigts. Il y a qui ne sont pas suffisamment médiatisés et dont la carrière remonte à un passé lointain. On pense essentiellement à des joueurs comme Noureddine Diwa, Tawfik Belghith, Mokhtar Ben Nacef. On continue encore à parler de Temime Lahzami et son passage à Marseille. Jamel Limam et sa carrière au Standard de Liège. Puis vint le temps de Hatem Trabelsi et sa grande ascension avec l’Ajax, mais aussi et à un moindre degré Radhi Jaidi et Karim Hagui. D’autres joueurs tunisiens avaient tenté la même expérience, mais la plupart n’ont point réussi à mettre leur empreinte là où ils étaient passés. Trompés par des agents véreux, mal conseillés, incapables de coller à leur nouveau mode de vie, ne parvenant pas à évoluer mentalement et à prendre conscience des exigences quotidiennes du haut niveau, ils n’ont pas pu réussir dans le football professionnel. C’est tout un travail, notamment en dehors du terrain.
D’une façon générale, les clubs européens continuent toujours à chercher ailleurs le joueur qu’ils risquent de ne pas avoir chez eux. Ils sont intéressés par deux profils types. L’attaquant vif et rapide et le défenseur, milieu défensif axial, qui est appelé à s’imposer physiquement. C’est le stéréotype du joueur qui réussit actuellement en Europe. Son talent s’exprime grâce à sa vitesse et à son explosivité.
Un autre facteur, non moins important, explique la présence de joueurs africains en Europe : le style de jeu. Beaucoup de championnats sont considérés comme des compétitions où le physique est prépondérant. Les joueurs africains sont souvent qualifiés de joueurs physiques. Une histoire qui date, il est vrai, de longues années. Elle suscite autant d’interrogations que de constats : est-ce que l’évolution du jeu n’aurait-elle pas favorisé l’émergence d’un profil de joueurs bien déterminés? Les joueurs africains sont-ils les élus de ce système ? Une histoire qui raconterait aussi l’obsession pour le combat physique. Le profil du joueur de football moderne, c’est un coureur de 400 mètres. Le football moderne aurait ainsi besoin, selon beaucoup de techniciens même de renom, de joueurs rapides qui puissent conserver l’avantage quand une équipe réussit un décalage. On s’intéresse de plus en plus au couplage puissance-vitesse, ce qu’on résume par le mot « explosivité ». Une qualité devenue incontournable, à la fois conséquence et instrument de l’évolution globale du jeu.
Il est donc logique que le profil du joueur de haut niveau ait changé. On voit bien que la force physique est en train de modifier la donne. A ce petit jeu, le joueur africain, entre sa qualité individuelle et la mythologie qu’on lui associe, est devenu le produit de tête de gondole. On prend de plus en plus d’athlètes en essayant d’en faire des joueurs de football. La coupe du monde de Russie dans laquelle évolueront cinq sélections africaines sera un marronnier des amateurs de transferts de joueurs. Elle représente une saignée pour la plupart des clubs européens. On notera que le continent africain est le plus représenté dans les clubs professionnels. Le football moderne en serait tenté de le confirmer: le joueur d’aujourd’hui et de demain est, et sera, africain. Parce qu’il est censé être plus rapide, plus fort.
Les statistiques sont cependant loin d’être rassurantes : 70 % des footballeurs africains ratent leur reconversion dans le professionnalisme et spécialement dans les championnats européens.
Les joueurs tunisiens ne sont pas très demandés, et encore moins sollicités dans les championnats européens. Il y a le symbole, la représentativité. Il y va aussi de l’image du football tunisien et de ses clubs, de sa sélection, des centres de formation. A l’exception de quelques réussites, façonnées par des profils bien déterminés et dans des contextes bien particuliers, le taux d’échec est important. Ils sont restés trop tunisiens et peu européens