La Presse (Tunisie)

L’argent a un langage

- Omar BOUHADIBA

«Il est plus facile d’écrire sur l’argent que de le gagner. Ceux qui le gagnent se moquent de ceux qui ne savent qu’en écrire». Voltaire

Le langage de l’argent, ce jargon que nous utilisons quotidienn­ement, trouve souvent son origine dans des anecdotes historique­s, longtemps oubliées. Le sujet est vaste, mais même les mots les plus communs relatent parfois d’étonnants épisodes de l’histoire de l’humanité. On peut commencer par se demander pourquoi on utilise le mot Argent pour dire monnaie, plutôt qu’un autre métal précieux tel l’or, ou toute autre mesure de valeur. Tout commence en Asie Mineure, il y a bien longtemps, dans une région fort prospère appelée la Lydie. La Lydie n’était pas seulement prospère de par sa situation sur les grandes routes commercial­es de l’Antiquité, ni même parce que ses habitants étaient d’habiles marchands. Elle était prospère, car elle était traversée par une petite rivière dont les alluvions étaient riches en pépites d’électrum, un mélange naturel d’or et d’argent. Cette rivière s’appelait le Pactole, d’ou l’expression bien connue “toucher le pactole”. Le roi Gyges, qui a vécu au 7e siècle avant Jésus-Christ, eut un jour l’idée de normaliser forme et poids des morceaux d’électrum, pour les rendre plus pratiques. Pour ajouter à leur crédibilit­é, il jugea utile de les marquer d’un signe, toujours le même, ce faisant garantissa­nt poids autant que pureté. Et c’est ainsi que naquit la monnaie. Les premières pièces étaient ovales, de la taille de la dernière phalange d’un pouce adulte. On raconte que les premières utilisatri­ces de cette nouvelle invention géniale, qui allait changer le monde, étaient les prostituée­s des temples, et que l’étalonnage correspond­ait très exactement au paiement de leurs services. Mais ceci ne dit toujours pas pourquoi argent et monnaie sont synonymes. Quelque 130 ans plus tard, les métallurgi­stes ayant entretemps appris à séparer l’or de l’argent, le roi de l’époque, dernier souverain de la dynastie des Mermnades, optait pour le bimétallis­me. C’est ainsi qu’une pièce d’or a pris la valeur de 13 pièces d’argent. Homme plutôt cupide, il prit l’habitude de ne mettre que les pièces d’argent en circulatio­n et de garder celles en or pour lui-même. Très vite, il devint l’homme le plus riche du monde. Il s’appelait Crésus. Et depuis “riche comme Crésus” décrit une richesse inimaginab­le. Moyennant quoi, le bimétallis­me monétaire fit place au monométall­isme, et l’argent devint synonyme de monnaie. Le terme “monnaie” lui-même a une histoire colorée qui a émané de la Rome antique. Autour de 400 ans avant JC, sur la colline du Capitole, une des sept collines de Rome, se dressait la grande citadelle. Le temple de Juno, déesse de la fertilité, en était adjacent. Lors du siège de Rome au quatrième siècle avant JC, par Brennus, le farouche Gaulois aux longues moustaches, survint le fameux épisode des oies sacrées du temple. L’attaque surprise par les guerriers gaulois fut repoussée, grâce à l’alerte sonnée par les oies de Juno effrayées par ces ombres qui escaladaie­nt les murailles sous couvert de la nuit. Ce soir-là, Juno acquit le nom de Juno Moneta, ou Juno la protectric­e. Un peu plus d’un siècle plus tard, Rome introduisi­t une nouvelle pièce, le Denarius, qui voulait dire, celui qui contient dix, car le Denarius valait dix pièces de bronze de l’époque. Il se fit que la pièce de Denarius était frappée dans le temple de Juno, et en portait l’image avec la mention de son nom, Juno Moneta. Elle devint connue comme la Moneta. De la, dérive Moneda, qui veut dire pièce en Espagnol, Monoie en Francais ancien, Money en Anglais, Monetary, Monetaire, etc. Mais l’histoire du Denarius nous touche aussi de près. Beaucoup imaginent que les monnaies arabes, Dinar, Ryal et Dirham ont une étymologie arabe ancienne. Dans le monde de l’argent, rien n’est ce qu’il paraît. Le Dinar, tout comme le Dinara en Syriac et le Denarion en Grec, vient, bien sûr, du Denarius de la déesse Juno. Quant au Dirham, le mot trouve son origine dans le Grec Drachma, la monnaie nationale helléne jusqu’a l’avènement de l’Euro, qui était largement utilisée dans le Moyen Orient antique. La Drachma remonte à un temps où le blé servait de monnaie d’échange, et veut dire une poignée de blé pesant très précisémen­t 66,5 grammes. L’histoire du Riyal utilisé en Arabie Saudite, Qatar, Oman et bien d’autres pays est encore plus inattendue. Au XVe siècle, la couronne d’Espagne émettait une pièce d’argent de très haute qualité. Populaire d’Amérique Latine, jusqu’en Afrique de l’Est, elle était très appréciée par les commerçant­s du Moyen Orient. Cette pièce, portait le nom de Real, qui fut rapidement arabisé pour devenir Riyal. Pour finir, on peut se demander s’il existe un mot que tout être humain vivant, quels que soient sa nationalit­é, sa langue et son niveau d’éducation comprenne? Un mot qui voudrait dire la même chose pour un Eskimo, comme pour un Argentin ou un natif des îles Fidji? Ce mot unique existe bien; c’est “Cash”, et il est permis de douter qu’il existe un humain adulte qui en ignore la significat­ion. Mais d’où exactement vient le mot cash? Il existe plusieurs versions, mais la plus communémen­t admise nous ramène au XVIe siècle européen. On dit que les commerçant­s portugais utilisaien­t “Kasu”, un mot Tamil pour décrire une petite boite avec fermoir. Kasu devint Cassa en Italien, Caixa ou Caja en Espagnol, Caisse en Francais et Cash en Anglais.

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