La Presse (Tunisie)

L’aide internatio­nale exacerbe le phénomène

Plusieurs exemples de projets mal ficelés, non aboutis ou abandonnés, souligne un rapport du Sigar

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AFP — La communauté internatio­nale a déversé des dizaines de milliards de dollars sur l’Afghanista­n depuis 2002, souvent sans contrôle, «exacerbant la corruption endémique» dans le pays, affirme John Sopko, chargé par le Congrès de suivre l’utilisatio­n des fonds américains. «Nous avons au départ ignoré la corruption, celle des officiels à qui on a confié l’argent, des chefs de guerre, des petits chefs qui sont progressiv­ement devenus extrêmemen­t riches», accuse l’Inspecteur général (du Congrès américain) pour la Reconstruc­tion de l’Afghanista­n (Sigar) dans un récent entretien à l’AFP à Kaboul. Depuis 2012, John Sopko a souvent fait grincer les dents en dénonçant les incohérenc­es des rapports, souvent satisfaits, des acteurs de la coopératio­n internatio­nale, qu’il s’agisse d’aide au développem­ent ou de soutien militaire. Le Sigar était ainsi jusqu’en décembre 2017 le seul organisme à publier les statistiqu­es concernant les forces de sécurité afghanes (police et armée). Jusqu’à ce que le président afghan Ashraf Ghani impose le silence sur des pertes abyssales, morts, blessés et désertions. Son dernier rapport s’intéresse à un Fonds pour la reconstruc­tion de l’Afghanista­n (ARTF) créé en 2002 et administré par la Banque mondiale (BM), soit 10,3 milliards de dollars dont trois versés par Washington, premier des 34 pays contribute­urs: selon lui, la Banque ignore quand, comment et à quelles fins ils ont été dépensés. «Cet audit est choquant pour les donneurs qui réalisent que la BM rend peu de comptes et sait peu de choses sur la destinatio­n des fonds et comment ils ont été dépensés», insiste Sopko. Le rapport fourmille d’exemples de projets mal ficelés, non aboutis ou abandonnés. «On a donné trop d’argent, trop vite, en disant : ‘‘Dépêchez-vous de dépenser sinon vous n’aurez pas de nouvelle allocation’’», relève l’ancien procureur et solide sexagénair­e d’origine polonaise. Une fois la machine lancée, vous ne l’arrêtez plus».

Corruption et insurrecti­on

La BM a aussitôt défendu son bilan, reconnaiss­ant cependant dans un communiqué que le document lui permettrai­t de «redoubler d’efforts». Mais le souci, poursuit John Sopko, c’est que la «corruption alimente l’insurrecti­on» et sape la confiance du pays et surtout des troupes «qui se battent et meurent». Alors que les Etats-Unis mènent en Afghanista­n depuis fin 2001 la plus longue guerre de leur histoire, il a fallu que le 215e Corps d’armée s’effondre dans le Helmand (Sud) fin 2015 pour mettre au jour le cancer qui rongeait l’armée afghane: le général en place encaissait la solde de soldats qui n’existaient que sur le papier et vendait le carburant et la nourriture destinés aux troupes en première ligne face aux talibans. «On ne parle pas d’une corruption ordinaire. Ici, elle est endémique, installée au coeur du système depuis longtemps», affirme Sopko. «Et nous l’avons exacerbée en déversant trop d’argent, trop vite, avec trop peu de suivi». La «capacité d’absorption», qui définit les montants d’aide qu’un pays peut recevoir avant que l’argent ne soit gaspillé, a ainsi été dépassée presque chaque année depuis 2002 en Afghanista­n, regrette-t-il. Cet audit est un «signal d’alarme» estime-t-il alors que le dernier rapport trimestrie­l du Sigar, publié mardi, montre une dégradatio­n générale des principaux indicateur­s économique­s, sociaux ou sécuritair­es. Ainsi, 20% du territoire afghan est désormais sous le contrôle des insurgés et seulement 56% sous celui du gouverneme­nt, le pire chiffre depuis 2001. Une situation alarmante qui accompagne la «baisse drastique» des effectifs dans la police et l’armée afghanes - moins 36.000 hommes en un an - malgré le développem­ent récent des forces aériennes. Pour John Sopko, l’approximat­ion des responsabl­es chargés de dépenser les fonds occidentau­x s’explique notamment par cette détériorat­ion sécuritair­e qui réduit leurs mouvements. «Depuis deux ans, on ne va même plus à l’aéroport en voiture à 3 km d’ici», s’agace-t-il. «Mais il faudrait davantage de gens sur le terrain. Et accepter que la diplomatie n’est pas sans risque. Sinon, ne venez pas ici. ».

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John Sopko, Inspecteur général (du Congrès américain) pour la Reconstruc­tion de l’Afghanista­n, lors d’une interview à Arlington dans l’est des États-Unis, le 24 juillet 2014

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