un scrutin, des messages
LA Tunisie post-janvier 2011 a, sept ans et quelques mois après son entrée en révolution, organisé, le 6 mai, ses premières élections municipales qui, dans l’ensemble et à part quelques dépassements, se sont déroulées de façon transparente et démocratique. Les résultats non encore officiels ont crédité le mouvement Ennahdha de 27,5% des voix, suivi de Nida Tounès (22,5%). Les listes indépendantes capitalisent environ 30% des voix. Dans les médias, les responsables des partis politiques et des listes en compétition criaient victoire en fonction de leurs calculs et de leurs objectifs. De fait, et même si chacun y va de ses propres analyses et évaluations, il demeure évident que ce scrutin historique et extrêmement important mérite à notre avis une analyse froide, objective et sereine pour en décoder les vrais messages que le corps électoral (votants et abstentionnistes ) a voulu adresser à la classe politique.
Pour l’heure, contentons-nous d’en dégager les caractéristiques saillantes :
1. Une participation modeste du corps électoral : un Tunisien sur trois inscrit sur les listes électorales a participé au scrutin. Autrement dit, deux Tunisiens sur trois ont boudé les élections. Les votants ont donné l’essentiel des voix aux deux grands partis. Quand on sait le sentiment général de mécontentement et d’insatisfaction du peuple à l’endroit de ces deux grandes formations politiques aux commandes, l’on est en droit de se poser la question sur le sens profond de ce vote. Celui-ci démontre clairement que les votants ont joué en priorité la carte de la stabilité politique se refusant à tout aventurisme. Ces deux grandes formations politiques ne doivent pas pour autant en tirer vite triomphe en se berçant de l’idée que les votants leur sont totalement acquis. Malgré le recul des chiffres par rapport aux élections de 2014, Ennahdha en sort davantage présent. Son score lui permet de s’ancrer davantage dans le paysage politique tunisien même si l’essentiel de l’élite du pays ne lui est pas favorable. Tout porte à croire que la vie politique et les alliances partisanes se feront par rapport à ce parti. Toutefois, compte tenu du fort taux d’abstention, la situation pourrait profondément changer.
2. Une affirmation des listes indépendantes qui pourraient dans l’avenir peser dans les prochains scrutins traduisant quelque part la méfiance d’une partie du corps électoral à l’égard des grands partis. On assiste peut-être à la naissance d’une nouvelle force qui pourrait soit se consolider et voler de ses propres ailes sur la scène politique nationale, soit se placer comme un réservoir de voix dans lequel en fonction des alliances futures l’une ou l’autre des deux grandes formations politiques pourrait puiser.
3. Une abstention significative et massive du corps électoral, notamment chez les jeunes. Il s’agit d’un phénomène très grave qui s’explique essentiellement par leur manque de confiance en la classe politique et par le désenchantement généralisé face aux nombreuses difficultés, notamment socioéconomiques, dont souffre le pays et que les gouvernements successifs n’ont pas été en mesure de résorber.
Au demeurant, ce scrutin a permis au peuple de s’adonner à un nouvel exercice démocratique. Le peuple commencera ainsi progressivement à bâtir la démocratie au niveau local, même si cela va rencontrer de nombreux obstacles juridiques, politiques et pratiques, à la lumière de la mise en oeuvre du nouveau code des collectivités locales. Ce scrutin aura en définitive donné un sérieux avertissement au gouvernement et à la classe politique en prévision des prochaines élections législatives et présidentielles de 2019, administrant la preuve que la patience du peuple a des limites et qu’il veut d’urgence ressentir dans son quotidien des résultats concrets de la révolution dans laquelle il s’est inscrit depuis bientôt huit ans.