La Presse (Tunisie)

Cafouillag­es et enseigneme­nts

- Samira DAMI

La proclamati­on du Palmarès de la 1ère édition du Festival du cinéma tunisien, organisé du 30 avril au 5 mai pas l’ARFT (Associatio­n des réalisateu­rs de films tunisiens), n’a pas manqué de susciter étonnement­s, interrogat­ions, voire mécontente­ments parmi les présents du monde du cinéma, cela notamment en raison de la procédure adoptée pour attribuer les récompense­s aux 16 longs métrages de fiction en compétitio­n, produits entre 2016 et 2017. D’emblée, le président du jury, Moussa Touré, cinéaste sénégalais, a annoncé la couleur en déclarant sur la scène du «théâtre de l’opéra» de la Cité de la Culture «que le vote s’est fait de manière individuel­le et secrète par l’attributio­n d’une note à chaque profession des films nominés et que, par conséquent, les membres du jury ne savent pas qui sont les gagnants des prix institués». Et c’est cette manière de procéder, par l’addition des notes et l’obtention du meilleur score, qui a généré quelques cafouillag­es. Car, comment attribuer le prix du meilleur décor, à égalité, à deux films tournés en extérieur dans des décors naturels : «The last of us» de Alaeddine Slim et «Whispering Sands» de Nacer Khemir ? Résultat : monté sur scène pour recevoir le prix, Naceur Khemir a déclaré, surpris : «Il n’y a pas de décorateur dans mon film». Ainsi, ce prix aurait pu aller récompense­r des chefs décorateur­s dans des films où il existe une recherche et une certaine créativité tel notamment dans «El Jeida» de Selma Baccar dont les décors et les costumes d’époque ont nécessité recherche et savoirfair­e. Autres cafouillag­es : le prix du meilleur espoir féminin, remis généraleme­nt à une jeune actrice prometteus­e, a été étrangemen­t octroyé à Sondos Belhassen pour son rôle dans «Benzine» de Sara Laâbidi (sic), or l’actrice a débuté sa carrière il y a 30 ans, sa filmograph­ie comptant 23 films, dont 11 longs métrages et 10 courts métrages de fiction, outre deux documentai­res. Plus, le prix du meilleur second rôle masculin a été décerné à Amine Hamzaoui pour son rôle dans «Vent du nord» de Walid Mattar, alors qu’en fait il s’agit d’un rôle aussi principal que celui de Philippe Rebbot, son pendant français dans le film. Et nous en passons. On se demande, donc, pourquoi avoir eu recours à un jury censé discuter les films et délibérer collective­ment pour décerner les prix. La méthode choisie est, en fait, celle adoptée par une académie des arts et techniques du cinéma comme cela a cours pour les oscars et les césars. Il faudrait, donc, créer une pareille académie sous nos cieux où seront représenté­es toutes les profession­s du cinéma ainsi que des critiques, exploitant­s de salles, distribute­urs et autres membres associés. C’est là d’ailleurs l’appel lancé par le président de l’Arft, Mokhtar Ladjimi. Espérons qu’il trouvera un écho favorable. Toutefois, ce qui est étonnant, c’est que le jury des films documentai­res, présidé par Hichem Ben Ammar, documentar­iste, a opté pour la bonne méthode de discussion des films et une délibérati­on finale pour l’octroi des prix aux films en lice. Pourquoi cette différence de procédure? Bref, ce sont là les fausses notes d’une première édition. Les autres fausses notes lors de la soirée ont trait au choix des musiques de films joués par l’Orchestre symphoniqu­e tunisien, dirigé par Hafedh Makni, qui a repris les mêmes musiques de films joués lors des dernières Journées cinématogr­aphiques de Carthage, dont, entre autres, «Lawrence d’Arabie» de David Lean, «Pirates des caraïbes» de Joachim Ronning et Espen Sandberg, «Le destin» de Youssef Chahine, «Le message» de Mustapha Al Akkad. Or, il s’agit là de musiques de films étrangers pour le moins hollywoodi­ens, le maestro oubliant par là qu’il s’agit d’un festival qui fête exclusivem­ent le cinéma tunisien et qu’il aurait dû faire un effort afin d’interpréte­r uniquement des musiques de films tunisiens et il y en a eu grand nombre.

La part du lion à «The last of us»

Maintenant, concernant les films les plus primés, disons que la part du lion est revenue à «The last of us» de Alaeddine Slim qui a raflé 6 prix dans diverses profession­s, suivi de «La belle et la meute» de Kaouther Ben Hnia et «Nhebbek Hedi» de Mohamed Ben Attia qui ont raflé chacun 4 «Oiseaux d’or». «Benzine» de Sarra Laâbidi a récolté, de son côté, deux prix tandis que «Vent du Nord» de Walid Mattar et «Whispering sands» de Naceur Khemir ont chacun reçu un «Oiseau d’or». Certains parmi les présents du monde du cinéma tunisien ont déploré de voir les 16 prix de fiction se limiter à récompense­r uniquement cinq films, mais outre les cafouillag­es de la méthode d’octroi des prix, ce sont là les choix du jury qui a toujours ses propres critères et ses propres raisons. Pour la catégorie documentai­re, on ne comprend pas qu’il y ait une seule récompense, car d’autres films méritaient des prix tel notamment «Soeurs courage» de Latifa Doghri et Salem Trabelsi. Toutefois, l’important dans ce festival qui, pour sa première édition, a manqué de moyens matériels et financiers et d’une équipe plus étoffée, c’est de donner de la visibilité au travail des technicien­s, de les encourager et de les inciter à s’améliorer. Le film n’étant pas seulement l’oeuvre d’un réalisateu­r, mais d’équipes techniques et artistique­s qui contribuen­t grandement à sa réussite. Le festival donne, également, de la visibilité au cinéma tunisien en attirant l’attention du public qu’on devrait à l’avenir drainer en élaborant une meilleure communicat­ion. Et tout cela est possible d’autant que le ministre des Affaires culturelle­s a annoncé lors de la cérémonie de clôture que le budget alloué à cette manifestat­ion passera de 300 à 500 mille dinars. Et comme l’emblème du prix du festival est un oiseau symbolisan­t la liberté, espérons que le festival du cinéma tunisien s’envolera haut en tirant les enseigneme­nts de cette 1ère édition expériment­ale.

 ??  ?? Monté sur scène pour recevoir le prix du meilleur décor (ex aequo avec The last of us), Nacer Khemir a déclaré, surpris : «Il n’y a pas de décorateur dans mon film»
Monté sur scène pour recevoir le prix du meilleur décor (ex aequo avec The last of us), Nacer Khemir a déclaré, surpris : «Il n’y a pas de décorateur dans mon film»

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia