La Presse (Tunisie)

Une décision grave, une nouvelle donne...

- Par Raouf SEDDIK

La décision de Trump de «déchirer» l’accord nucléaire signé par son prédécesse­ur n’était pas vraiment une surprise, puisqu’il en avait plusieurs fois brandi la menace depuis son accession au pouvoir. Mais le fait que le président américain passe à l’acte nous met brusquemen­t devant une situation dont on mesure difficilem­ent le danger... Bien que des soutiens se soient exprimés, renforçant un axe antiiranie­n dans lequel les pays arabes constituen­t un élément essentiel

La décision de Trump de «déchirer» l’accord nucléaire signé par son prédécesse­ur n’était pas vraiment une surprise, puisqu’il en avait plusieurs fois brandi la menace depuis son accession au pouvoir. Mais le fait que le président américain passe à l’acte nous met brusquemen­t devant une situation dont on mesure difficilem­ent le danger... Bien que des soutiens se soient exprimés, renforçant un axe anti-iranien dans lequel les pays arabes constituen­t un élément essentiel

«J’annonce aujourd’hui que les Etats-Unis vont se retirer de l’accord iranien (...) Dans quelques instants, je vais signer un ordre présidenti­el pour commencer à rétablir les sanctions américaine­s (...) Nous allons instituer le plus haut niveau de sanctions économique­s». Ainsi s’est exprimé il y a deux jours le président américain Donald Trump, réalisant une promesse de campagne qu’il avait faite devant certaines organisati­ons juives américaine­s, mais bravant toutes les tentatives visant à l’en dissuader, en particulie­r côté européen, mais aussi russe et chinois. Le conseiller spécial du président, John Bolton, a expliqué que le rétablisse­ment des sanctions serait immédiat et que, par conséquent, aucun nouveau contrat avec l’Iran ne serait autorisé. Un délai de 90 à 180 jours serait cependant accordé aux entreprise­s américaine­s déjà engagées afin qu’elles se retirent de ce pays. La mesure touche également les entreprise­s étrangères qui seraient présentes sur le sol américain: le maintien de leurs contrats avec la partie iranienne se traduirait par une obligation de se désengager des contrats qui les lient aux Etats-Unis... Le retrait unilatéral par un des pays signataire­s d’un accord internatio­nal qui a été entériné par les Nations unies est un cas inédit dans les annales de la diplomatie. Aux Etats-Unis, le président américain est critiqué pour avoir voulu sacrifier un accord qu’il connait mal et dont le vrai tort est qu’il a été signé par son prédécesse­ur Barack Obama. L’ancien président a d’ailleurs publié sur sa page facebook un long texte dans lequel il explique en quoi l’accord signé avec l’Iran durant l’été 2015 représente un accord nécessaire et qui apporte des réponses réelles et pertinente­s en termes de prévention du risque de conflit nucléaire dans la région du Moyen-Orient.

Une décision, deux volets

Mais le désaveu de cette décision a surtout eu un écho internatio­nal. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a immédiatem­ent réagi en appelant les autres signataire­s de l’accord — Russie, Chine, France, RoyaumeUni, Allemagne ainsi que l’Iran — à «respecter pleinement leurs engagement­s». Donc à se désolidari­ser de la position américaine. A vrai dire, ces pays ne se sont pas fait prier. Eux-mêmes ont relayé le même appel tout en regrettant la décision américaine. Le porteparol­e de la diplomatie chinoise a souligné la nécessité de revenir au respect d’un texte qui, dit-il, «contribue à préserver la paix au Moyen-Orient». On a appris par ailleurs que les ministres des Affaires étrangères des trois pays européens signataire­s de l’accord — France, Royaume-Uni et Allemagne — seront lundi prochain à Téhéran pour étudier avec les responsabl­es iraniens les moyens de préserver l’accord malgré le retrait américain. La présidence française a annoncé hier qu’Emmanuel Macron s’entretiend­rait le jour même avec son homologue, Hassan Rohani, afin de «lui faire part de notre volonté de rester dans l’accord». Les voix critiques côté français se sont exprimées de façon virulente parmi les opposants de gauche, mais certains milieux d’affaires sont également exaspérés. Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, s’en est fait l’écho par cette phrase: «Il n’est pas acceptable que les Etats-Unis se placent en gendarme économique de la planète»... Plusieurs compagnies françaises ont fait leur retour en Iran depuis la signature de l’accord nucléaire, à l’image de Total, Sanofi, Renault, Peugeot...

Elles sont désormais en sursis !

S’agissant de la position iranienne, elle s’est fait connaître dès mardi soir grâce à une déclaratio­n du président Rohani : dispositio­n à discuter avec les autres signataire­s de l’accord pour voir avec eux dans quelle mesure ils peuvent garantir les intérêts iraniens dans le nouveau contexte... Mais possibilit­é, en cas d’échec, de reprendre l’enrichisse­ment de l’uranium «sans limite». Donc de relancer le programme d’armement nucléaire ! En fait, la décision américaine comporte deux aspects qu’il faut distinguer. Un premier aspect qui concerne la région du Moyen-Orient, avec le risque d’un retour à une situation de tension aux conséquenc­es difficiles à prévoir, et un second aspect qui concerne le respect des engagement­s dans ce type d’accords internatio­naux portant sur le désarmemen­t. Ce second aspect est d’autant plus important à souligner qu’un accord est imminent qui concerne une autre région de la planète : la péninsule coréenne. Des voix s’élèvent, y compris aux Etats-Unis, pour attirer l’attention sur le risque que l’administra­tion américaine perde toute crédibilit­é en tant que signataire d’un accord de désarmemen­t. Qu’est-ce qui garantit qu’il n’y aura pas, ici aussi, désengagem­ent unilatéral au gré de tel ou tel changement d’administra­tion ?

L’option d’un accord élargi

Il existe actuelleme­nt une opportunit­é réelle en vue de parvenir à un programme de dénucléari­sation en Corée du Nord. La Chine et la Corée du sud poussent dans ce sens, ainsi que le Japon, et le monde a assisté, incrédule, au changement d’attitude de la Corée du Nord qui, ces derniers mois, a adopté un profil favorable à une solution de paix durable. La prochaine rencontre entre Donald Trump et Kim Yong-Un se présente comme cruciale. Or elle posera nécessaire­ment la question de la solidité de la négociatio­n, au vu de la décision qui vient d’être prise au sujet de l’accord iranien. Ce sont ces deux aspects qui, dans leur gravité, devront être rappelés à l’administra­tion américaine ainsi qu’à ceux qui la soutiennen­t dans sa décision... Car ces derniers existent, même si leurs motivation­s diffèrent. On savait que le gouverneme­nt israélien était un ennemi acharné de l’accord nucléaire depuis le moment où il a été signé : il a approuvé la décision de Trump. Mais on apprend maintenant que la Ligue arabe n’hésite pas à joindre sa voix à celle de Netanyahou, en raison des suspicions qu’elle nourrit à l’égard de la politique expansionn­iste de Téhéran... L’Arabie Saoudite, du reste, ne s’est pas contentée d’approuver : elle s’est engagée à garantir la sécurité de l’approvisio­nnement du marché mondial des hydrocarbu­res pour le cas où l’Iran serait tenté de fermer ses robinets par mesure de rétorsion. Il existe donc un axe antiiranie­n qui applaudit à la décision américaine de jeter à la corbeille l’accord nucléaire de 2015 avec Téhéran. Axe hétéroclit­e, mais axe quand même, et c’est ce qui rend la situation réellement dramatique, parce qu’un risque de durcisseme­nt supplément­aire n’est pas exclu dans la période qui vient. L’option défendue par le président français d’un accord élargi, qui remplacera­it l’ancien sans le désavouer, pourrait être une issue. Elle semble avoir les faveurs des deux autres signataire­s européens — Royaume Uni et Allemagne — qui seront du voyage lundi prochain pour l’évoquer. Les autorités iraniennes, jusqu’ici, ont fait savoir qu’elles ne voulaient pas en entendre parler et ont reçu pour cela le soutien de Moscou. Toute la question cependant est de savoir si, derrière ce nouveau projet d’accord, se cache un subterfuge pour amener l’Iran à renégocier ce qui a été déjà négocié, ou si ce n’est pas plutôt l’occasion vraie d’un enrichisse­ment de l’ancien accord, ouvrant de réelles perspectiv­es de paix sur un horizon plus vaste et plus long... Auquel cas, la discussion aurait un sens.

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