Des paysages qui tracent des destins
Ce travail, qui est en partie réalisé en Tunisie, est une histoire d’intemporalité et d’incertitude exprimées par des fragments de paysages dont la géographie ne compte pas vraiment
La galerie de l’Institut français de Tunisie présente, jusqu’au 31 mai, l’exposition «Borders» du photographe Jean-Michel André. Il nous y présente un travail qui prend comme point de départ la jungle de Calais, à la veille de l’évacuation du bidonville en 2016 pour aller investir d’autres lieux. Au-delà de la simple documentation, son travail recueille le langage d’un « non-lieu » (comme il le définit), d’un «non-temps», ses frontières, parle en hors-champ de ceux qui l’ont investi, leurs traces et leurs illusions exprimées par l’aridité des lieux et leurs silences… «Sur ces quelques kilomètres car- rés de sable et de broussailles, j’ai rencontré des réfugiés qui cherchaient abri. Des femmes, des enfants et des hommes réunis dans l’espoir d’une dernière traversée» , écrit-il. Parmi les nombreuses photographies qu’il a prises, il va en retenir une, celle autour de laquelle il va construire son travail, on y voit un jeune homme accroupi face au mur de grillage qui bloque l’accès au port. De la poésie photographique avec pour motif la tension entre l’effacement et l’épaisseur des paysages. Des étendues de sable, une aridité féroce, des rochers, des pierres, du minéral, du vide et encore du vide… Des éléments qui demeurent là, ne bougent pas, ils sont les témoins et les réceptacles du passage de ces vies, leurs vécus, leurs passés, leurs aspirations. «Borders», qui est en partie réalisé en Tunisie, est une histoire d’intemporalité et d’incertitude exprimées par des fragments de paysages dont la géographie ne compte pas vraiment… «J’ai volontairement gommé la carte, pour soustraire mon travail à une lecture strictement documentaire» , note l’artiste. Ces paysages sont d’abord les miroirs de récits intimes, de drames familiaux construits autour de ces frontières rigides qui ne se laissent pas traverser. Des paysages qui tracent des destins, des devenirs et font dialoguer le réel et l’imaginaire, le souvenir et le présent. Les personnes qu’il a rencontrées sur place n’ont pas besoin d’être présentes dans le cadre (celles qui le sont nous tournent le dos ou ont une présence-ombre), le vertige des paysages prend leur place et exprime leur désarroi. Récompensé par le prix du Jury de la Bourse du Talent 2017, «Borders» a été exposé à la Bibliothèque Nationale de France à Paris de décembre 2017 à mars 2018. Ce travail a également été présenté en avril 2018 à Bordeaux dans le cadre du Festival Itinéraire des photographes voyageurs et actuellement à Lille à la Maison de la photographie et se poursuit, chez nous, avec de nouvelles photographies.