Ceci n’est pas une nature !
À la galerie Mille feuilles à la Marsa, une exposition originale imaginée par Leila Rokbani qui s’exprime autrement sur ce que l’environnement nous réserve comme mauvaises surprises
Jamais on n’aurait pu deviner le sujet exact de cette exposition de prime abord. Un univers onirique baigné par la buée et éclairé par une lumière bleue. Cela donne l’air d’un laboratoire dans un film de science-fiction où un génie fou mène des expériences bizarres. Mais à l’entrée une pancarte indique «Serre» . Mais que cultive-t-on de si précieux ou de si monstrueux ? Mais en s’introduisant dans cette serre, on se rend compte que ces espèces sont faites d’une matière qui ne nous est pas étrangère, d’une matière qui nous entoure au quotidien, ou plutôt qui hante notre quotidien : les déchets ! Voici la terrible espèce qu’on cultive. «Des objets qui reflètent notre boulimie de consommation. Je laisse le caractère brut des déchets, je ne fais qu’exploiter les couleurs, les formes et les textures, dit Leila Rokbani .Ensuite je compose à la forme de la nature. Et chaque espèce de plante est une installation à part entière, une création autonome. Ces plantes faites de déchets, sont installées dans des vitrines pour créer cette distanciation entre l’humain et la nature ou plutôt une nature artificielle qui nous envahit. C’est une invitation pour aller plus loin, pour chercher et creuser. Avec les lumières et le son, cela donne l’impression d’un spectacle mais au fond ce n’est que la mise en scène de quelque chose qui nous étouffe.» Et, en effet, ce qui fait l’originalité de l’exposition de Leila Rokbani c’est justement sa distorsion de l’esthétique pour servir une cause environnementale et tirer une sonnette d’alarme, mais tout cela pas par un message médiatique de sensibilisation mais à travers l’art . Car, en fin de compte, le constat que l’artiste se pose est inquiétant voire glaçant : un jour on serait tellement habitués aux déchets qu’on les prendrait pour des oeuvres d’art de la nature alors que la vraie nature n’existera plus. C’est pour cela que ces oeuvres ne sont pas à prendre pour de la simple récupération de déchets pour faire de l’art mais plutôt pour créer une fausse nature et mettre le visiteur de cette expo face à ce terrible constat. L’humour n’est pas absent de cette exposition puisque Leila Rokbani a inventé des noms savants pour nos futurs envahisseurs comme : « siliconus Dabousus» ou «ressorus cirus» ou «cintrus cardhonus». Au fond de la salle, une vidéo est installée en boucle et diffuse les images de ces déchets qui sont en train de créer des formes, de s’assembler, de devenir cet erzatz de la nature si froide et artificielle. «Cette vidéo montre que ce monde de déchets évolue à notre insu, dit Leila Rokbani, comme s’il y avait un monde parallèle qu’on ne voit pas. Voilà, c’est une espèce autonome qui se compose, évolue toute seule pour prendre la place de notre nature et nous étouffe.» «The Waste Laboratory» ou «le laboratoire de déchets» est ce genre d’exposition inventive dans la mesure où il mêle l’art à la sensibilisation en se jouant de l’esthétique.