La Presse (Tunisie)

Encore un pic !

L’OST recense 850 mouvements de protestati­on en mars dont 41 cas de suicide et de tentative de suicide. Un mois après, il observe jusqu’à 1.439 mouvements dont 54 cas de suicide et de tentative de suicide

- D. B. S.

Le Forum tunisien des droits économique­s et sociaux (Ftdes) a tenu, hier à son siège à Tunis, un point de presse au cours duquel il a été procédé à la présentati­on des deux rapports mensuels sur les mouvements de protestati­on sociale, relatifs aux mois de mars et avril 2018. Ouvrant la conférence, M. Massaoud Romdhani, président du Ftdes, a tenu, d’abord, à signifier l’indignatio­n du Forum et de la société civile, en général, quant au transfert de l’ambassade des USA à Tel-Aviv, une décision qui contrecarr­e toute logique et met au pied du mur les lois internatio­nales. Il a montré du doigt le silence coupable de la communauté internatio­nale et des nations arabes, plus particuliè­rement face à cette injustice et cette atteinte confirmée à l’Etat palestinie­n.

Gouvernanc­e régionale : passivité irritante

Il a souligné, par ailleurs, la position du Ftdes sur la vague de violences qui vient d’éclater à Jelma dans le gouvernora­t de Sidi Bouzid. Les négociatio­ns menées entre les citoyens et les décideurs, quatre ans durant, et portant sur le sondage se sont avérées vaines, ce qui a attisé la grogne des habitants. Face aux protestati­ons sociales, les forces de sécurité ont décidé de passer à la vitesse supérieure, mettant en danger la sécurité des citoyens. « Il fallait pourtant trouver des solutions au problème ainsi qu’aux innombrabl­es problèmes développem­entaux persistant­s. Les actions de protestati­on traduisent le ras-le-bol des citoyens. Faute d’une gouvernanc­e locale et régionale performant­e, les dossiers demeurent rangés dans les tiroirs sans suite aucune. Les responsabl­es régionaux sont incapables de résoudre les problèmes et de communique­r avec les citoyens, suite à quoi les revendicat­ions prennent souvent une tournure dangereuse», a-t-il expliqué. En parlant des rapports relatifs aux mouvements de protestati­on enregistré­s en mars et en avril 2018, il a indiqué que le bond quantitati­f ne peut passer inaperçu : l’on note près de 600 mouvements supplément­aires au bout d’un mois. «Ces mouvements dénoncent les défaillanc­es développem­entales mais aussi la cherté de la vie. Aujourd’hui, le taux d’inflation s’élève à 7,6%. Il grimpera davantage en mai 2018. Le consommate­ur a bien perdu plus de 40% de son pouvoir d’achat. Sa situation économique et sociale empirera sans doute à défaut de solutions efficiente­s», a-t-il averti. M. Romdhani a passé en revue les principaux dossiers socioécono­miques jugés comme étant épineux : la pénurie d’eau et le non-raccordeme­nt de certaines régions au réseau d’eau potable, la hausse du taux de suicide et des tentatives de suicide notamment auprès des catégories vulnérable­s, l’émigration clandestin­e et la fuite des compétence­s. «Plus de 80% des compétence­s tunisienne­s, dont les médecins spécialist­es, ont choisi de quitter le pays en quête d’opportunit­és meilleures. Qui donc pren- dra la relève et participer­a à la reconstruc­tion de l’économie ?», s’est-il interrogé, perplexe. Il n’a pas manqué, en outre, de souligner la réticence des citoyens quant à l’accompliss­ement du devoir électoral, et l’option — pour les électeurs — des listes indépendan­tes plutôt que des partis prépondéra­nts. Cette position témoigne, nettement, de la rupture du contrat de confiance entre les citoyens et les politiques, une rupture provoquée, notons-le, par l’absence de solutions et de mesures salvatrice­s aux problèmes.

Un boom prévisible

Prenant la parole à son tour, M. Abdelsatta­r Sahbani, président de l’Observatoi­re social tunisien (OST) et sociologue, a présenté les deux rapports mensuels relatifs aux mouvements de protestati­on sociale pour les mois de mars et avril 2018. En effet, l’OST a recensé 850 mouvements de protestati­ons en mars dont 41 cas de suicides et de tentative de suicide. Un mois après, les données ont changé d’un cran. Les mouvements de protestati­ons ont atteint les 1.439 dont 54 cas de suicides et de tentatives de suicide. «Ce boom était bien prévisible. La courbe des mouvements de protestati­ons atteint généraleme­nt son paroxysme en janvier, en avril et en octobre», a-t-il rappelé. Il a indiqué, néanmoins, que les mouvements collectifs ont changé d’espace. Nous les observons à Tunis à La Kasba, au Bardo et aux seuils de certains ministères. «Manifestem­ent, remarque-t-il, l’avenue Bourguiba a perdu, quelque peu, de sa symbolique d’espace de revendicat­ions socioécono­miques». Les deux rapports reprennent, à quelques nuances près, la même cartograph­ie protestata­ire. Les régions de Kairouan, Sidi Bouzid, Gafsa et Kasserine continuent à être les principaux théâtres d’actions de protestati­on. De même pour la répartitio­n sectoriell­e des protestati­ons : le secteur administra­tif chapeaute la liste des secteurs les plus concernées par la vague protestata­ire, suivi du secteur éducatif, celui social, économique et sécuritair­e. S’agissant des cas de suicide et de tentative de suicide chez l’enfant, l’orateur reprend, non sans inquiétude, les chiffres qui ont été publiés récemment, par la délégation générale de la protection de l’enfance. En effet, le rapport annuel de ladite source relatif à 2017 recense 319 cas de tentative de suicide d’enfants dont 295 filles, ce qui est alarmant. M. Sahbani a saisi l’occasion pour attirer l’attention sur la violence qui avance à pas de géant dans une société en mal de vivre. La violence est devenue, indéniable­ment, un fléau redoutable, marquant aussi bien l’espace public, les institutio­ns éducatives et sportives et jusque dans l’environnem­ent familial. L’orateur dénombre jusqu’à dixhuit formes de violence. « La violence physique semble être la plus choquante. Certes, toutefois, celles verbale, morale et symbolique sont les plus répandues, les plus banalisées et les plus mortifiant­es».

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia