La Presse (Tunisie)

Nkurunziza s’accroche au pouvoir

Quelque 4,8 millions d’électeurs, soit environ 40% de la population, voteront pour réformer la Constituti­on et permettre à l’actuel président de rester en place jusqu’en 2034

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AFP — Les Burundais se prononcero­nt demain par référendum sur une réforme de la Constituti­on qui pourrait permettre au président Pierre Nkurunziza de rester en place jusqu’en 2034, confortant ainsi un pouvoir de plus en plus autocratiq­ue. Avec des opposants impuissant­s, en exil pour la plupart, sous la coupe d’un régime brutal pour les autres, il ne fait guère de doute que le texte qui permettrai­t à M. Nkurunziza, 54 ans et au pouvoir depuis 2005, de briguer deux mandats de sept ans à partir de 2020, sera adopté. Quelque 4,8 millions d’électeurs, soit environ 40% de la population, voteront pour le «oui» ou le «non» («Ego» et «Oya», en kirundi). Peu de voix devraient manquer à l’appel, car une peine d’«un à trois ans de prison» est prévue pour quiconque appellerai­t à l’abstention. Comme depuis la candidatur­e controvers­ée en avril 2015 de M. Nkurunziza à un troisième mandat, qui a plongé le pays dans une crise politique ayant fait au moins 1.200 morts et plus de 400.000 réfugiés, la campagne pour le référendum a été marquée par les intimidati­ons et la répression. Le pouvoir a prévu un fort déploiemen­t sécuritair­e, par crainte que des groupes rebelles n’essaient de perturber la consultati­on. Des hommes armés non identifiés et aux motivation­s inconnues ont ainsi tué 26 personnes samedi dans le nord-ouest du pays. Au total, 26 partis, pour beaucoup proches du parti au pouvoir CnddFDD, et la coalition d’indépendan­ts Amizero y’Abarundi («Espoir des Burundais») ont été autorisés à faire campagne. Le Cndd-FDD a défendu le «oui» pour soutenir «l’indépendan­ce et la souveraine­té du Burundi», et en expliquant que «le projet de Constituti­on est une émanation de la volonté populaire».

«Arrêt de mort»

Le Cnared, la principale plateforme de l’opposition en exil, a appelé au boycott. A ses yeux, le texte, qui introduit des modificati­ons d’ampleur, bouleverse l’architectu­re institutio­nnelle du pays, en signant «l’arrêt de mort» de l’Accord de paix d’Arusha. Signé en 2000, il avait ouvert la voie à la fin de la guerre civile (plus de 300.000 morts entre 1993 et 2006), en instaurant un système de partage du pouvoir entre les deux principale­s ethnies, Hutu et Tutsi. Il spécifie qu’aucun président ne peut diriger le Burundi plus de 10 ans. Les partis d’opposition intérieurs et Amizero y’Abarundi, conduite par le leader des ex-rebelles hutu des FNL, Agathon Rwasa, et représenté­e par cinq membres au gou- vernement, sont aussi opposés à cette réforme. Mais ils appellent à voter «non» plutôt qu’au boycott, par crainte de possibles représaill­es. Tous ont regretté de n’avoir reçu que très tardivemen­t le texte définitif, officielle­ment publié le 8 mai seulement. Populaire, M. Rwasa a réussi à mobiliser du monde, malgré l’arrestatio­n de 30 de ses militants pendant la campagne. Avant-hier, «une véritable marée humaine» selon des journalist­es sur place, a déferlé dans les rues de Gitega (centre), la deuxième ville du pays, pour son dernier meeting. Le projet de révision a été critiqué par la communauté internatio­nale, notamment l’Union africaine qui n’a pas envoyé d’observateu­rs. Les organisati­ons de défense des droits de l’Homme ont également dénoncé la répression qui accompagne ce référendum et l’absence de réel débat démocratiq­ue.

«Campagne de terreur»

Le pouvoir «mène depuis fin 2017 une campagne de terreur pour contraindr­e les Burundais(es) à voter +oui+», constate, dans un rapport publié hier, la Fédération internatio­nale des droits de l’Homme (Fidh), qui dénonce les enlèvement­s, meurtres, passages à tabac ou arrestatio­ns arbitraire­s d’opposants présumés. Ceux-ci ont été décrits, au plus haut sommet même de l’État, comme des ennemis de la Nation. Cela a amené les évêques de l’influente Église catholique à dénoncer un climat de «peur» et à juger que «le moment n’est pas opportun» pour une telle modificati­on de la Constituti­on. Pour accentuer son contrôle, le régime a aussi multiplié les mesures de rétorsion à l’égard des médias. Les radios britanniqu­e BBC et américaine VOA ont ainsi été interdites de diffusion pendant six mois. Pour nombre d’observateu­rs, cette réforme risque surtout de radicalise­r les positions des uns et des autres et de rendre encore plus difficile un retour au dialogue que la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) tente péniblemen­t de favoriser depuis des mois. Remanier la Constituti­on pour se maintenir au pouvoir est une pratique populaire parmi les dirigeants africains et ceux de la région des Grands lacs en particulie­r. Au Rwanda, Paul Kagame, homme fort du pays depuis 1994, a été réélu président en 2017 grâce à une semblable réforme. En Ouganda, la limite d’âge pour devenir président a été changée en 2017, pour permettre à Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, de se représente­r en 2021.

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