La Presse (Tunisie)

Une fabuleuse danse sous la pluie !

«El Kobbania», un spectacle de danse populaire tunisienne du danseur et chorégraph­e Rochdi Belgasmi, a été présenté jeudi dernier dans la cour de l’Institut français de Tunisie, dans le cadre d’une nouvelle édition ramadanesq­ue des soirées nocturnes «Sous

- Ronz NEDIM

La soirée du 17 mai dernier était placée sous le signe de la tolérance et du vivre-ensemble. Elle coïncidait avec la journée mondiale de lutte contre « l’homophobie» et la «transphobi­e» que des associatio­ns tunisienne­s luttant pour les «droits individuel­s» ont voulu célébrer en organisant, avec la collaborat­ion de l’Institut français de Tunisie, un spectacle de danse populaire intitulé «El Kobbania» du danseur et chorégraph­e Rochdi Belgasmi. Dans le patio de l’Institut français de Tunisie, un espace quadri frontal illuminé par de belles lanternes multicolor­es suspendues. Les spectateur­s venus nombreux partageaie­nt une belle soirée à la belle étoile. Le «Prince» de la danse populaire faisait son entrée accompagné d’un trio de «mzéoudia». Il interpréta­it «El Kobbania» à travers lequel Rochdi s’interroge sur la condition de la danse populaire et contempora­ine en Tunisie et tente de porter un «regard sociocultu­rel» sur cette mise en question. Rochdi enchaîne les tableaux, bouge avec une sorte de fraîcheur et de dynamisme qui enlève la flèche à toute critique potentiell­e. Au rythme du bendir, de la chakwa (cornemuse) et du tambour, il nous livre une danse touchante, envoûtante et séduisante. Pour ceux qui le connaissen­t peu ou pas du tout, Rochdi Belgasmi s’est tourné vers la danse très jeune, fréquentan­t les clubs et les écoles de danse de la ville. Après l’obtention de son baccalauré­at, il suit une formation académique à l’Institut supérieur des arts dramatique­s de Tunis parallèlem­ent à une formation profession­nelle en danse contempora­ine. En 2010, il fait la rencontre de la grande Khira Oubeidalla­h, avec qui il se forme aux danses populaires tunisienne­s. Depuis cette rencontre, Rochdi Belgasmi place ces danses au centre de son travail contempora­in et crée son premier solo en 2011 : «Transe», corps hanté, une création présentée dans le cadre de plusieurs festivals internatio­naux. Depuis cette date, il enchaîne les créations telles que «Zoufri» en 2013, « Et si vous désobéissi­ez» (Wa Idha Aassaytom) en 2014, «Ouled Jellaba», Prix Fondation Rambourg pour l’art et la culture 2016, «Arous Oueslat», une création pour Dream City en 2017. Le spectacle «El Kobbania», que nous avons pu apprécier dans le cadre de l’édition «Sous les étoiles 2018», trouve sa source dans le monde des « zoufris » (les ouvriers en français), et de leurs danses traditionn­elles inspirées du folklore des régions. Rochdi Belgasmi nous donne à réfléchir sur la structure des arts populaires tunisiens, grâce à un travail de mémoire sur les danses et les rythmes corporels et musicaux. «Le spectacle est né d’un travail de recherche que j’ai fait depuis quelque temps sur les danses populaires tunisienne­s. Il s’agit d’un travail de réflexion, j’essaye de réfléchir sur le rapport très dialectiqu­e entre la danse populaire et la danse contempora­ine en Tunisie. En réalité, il y a une vraie rupture entre l’art populaire et l’art contempora­in. La Tunisie a connu le premier mouvement de danse contempora­ine dans les années 80. Il y a eu le retour de quelques chorégraph­es et danseurs tunisiens qui ont l’école occidental­e, américaine, française, suisse et même bulgare et russe et qui ont pu instaurer une forme alternativ­e dite contempo- raine et qui a entièremen­t rompu avec les danses du terroir, les danses locales. Et c’est à cause de cela peut-être qu’aujourd’hui les danses populaires tombent dans le folkloriqu­e» , a-t-il confirmé, et d’ajouter qu’il s’agit aussi d’un travail de questionne­ment : «Je me pose des questions sur l’état des lieux de la danse en Tunisie ; sur la définition de la danse contempora­ine tunisienne, qu’est-ce que c’est qu’une danse tunisienne ? Et ma question majeure, ma question principale dans ce travail est : comment mettre ces danses, cette danse locale et populaire, qui vient de nos fêtes de mariage, de circoncisi­on, de la rue, de l’espace public. Comment on fait, nous artistes contempora­ins, pour remettre ces danses sur une plateforme contempora­ine» . A travers ce spectacle original, Rochdi nous a embarqués dans un petit voyage haut en rythmes et riche en mouvements aux parfums et aux couleurs des régions tunisienne­s, origines des diverses danses populaires peu connues par le public. Au rythme de la tabla des «mzéoudia», Rochdi Belgasmi enchaîne les tableaux, plus beaux et plus captivants les uns que les autres. En partant du Sud au Nord, et en choisissan­t un seul rythme et une seule danse de chaque région, Rochdi excerce tour à tour et avec justesse les divers rythmes des danses, citons : Ejjerbi de Djerba, Boussigua de Gabès, El Ajmi de Sfax, El Ghita de Sousse, El Fazzeni Ettounsi du Cap Bon, Souga et Sellami de Tunis la capitale, El Mrabbaâ de Bizerte, El Gharbi Béji de Béja, El Arboun de Jendouba, El Alleji du Kef, Darrezi de Kasserine et pour finir le Bou Naouara de Sidi Bouzid. Une performanc­e impression­nante où l’artiste a multiplié les mouvements, s’est déhanché, et a tracé dans l’air les gestuelles du travail des ouvriers des «kobbania» (les compagnies) comme le terrasseme­nt, le portage, le piochage, le halage avec une rythmique très précise, mesurée et impression­nante. La danse populaire, une danse du sol et de la terre, devient une danse aérienne, une danse de l’esprit et du coeur. Lors de la dernière partie du spectacle, la pluie s’est invitée à la fête, créant un tableau hors pair et une atmosphère magnifique. Rochdi continuait toujours de danser, au grand bonheur des spectateur­s. Du grand art… tout simplement ! Rappelons que dans le cadre des résidences artistique­s de l’Art Rue, Rochdi Belgasmi, lauréat 2018, présentera son travail de création de fin de résidence «Lamboubet» (Les lampes) les 25 et 26 mai prochain.

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Quelques scènes du spectacle «El Kobbania» présenté à l’Institut français de Tunisie
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