L’économie prise en otage
• Qu’importent les chiffres, l’économie et les réformes, lorsque le «moi» l’emporte sur le «nous» et lorsque certains sont prêts à faire un croche-pied à l’économie, pourvu que 2019 ne leur échappe pas. La gouvernance n’est plus alors une affaire de bon sens et le gouvernement devient un mélange entre une arène de lobbying et un tremplin pour les ambitions personnelles.
• Un des scénarios de sortie de crise préconise une politique de «stabilisation de l’économie», en décrétant un gel à la fois des salaires, des prix et des taxes. Trois indicateurs qui n’ont cessé de s’emballer depuis la révolution
• Qu’importent les chiffres, l’économie et les réformes, lorsque le «moi» l’emporte sur le «nous» et lorsque certains sont prêts à faire un croche-pied à l’économie, pourvu que 2019 ne leur échappe pas. La gouvernance n’est plus alors une affaire de bon sens et le gouvernement devient un mélange entre une arène de lobbying et un tremplin pour les ambitions personnelles. • Un des scénarios de sortie de crise préconise une politique de «stabilisation de l’économie», en décrétant un gel à la fois des salaires, des prix et des taxes. Trois indicateurs qui n’ont cessé de s’emballer depuis la révolution Le mandat de cinq ans délivré par le peuple un certain 26 octobre 2014 par un vote massif et optimiste risque fort de se terminer en queue de poisson. Si l’on respecte les règles du jeu démocratique, les élections législatives et la présidentielle devraient se tenir en octobre 2019, soit dans exactement 17 mois. Depuis 2014, la scène politique a vécu au rythme des nominations, des démissions et de l’éviction de chefs de gouvernement, de ministres, de secrétaires d’Etat, de présidents d’institutions constitutionnelles et de directeurs généraux d’importantes institutions. Une valse qui fait dire à un homme politique de l’opposition que la majorité « a échelonné son échec » en changeant à chaque fois d’équipe gouvernementale. Mais la réalité est beaucoup plus compliquée que cela. Le mode de scrutin, la loi électorale, le régime politique et l’omniprésence politique de deux organisations nationales, Ugtt et Utica, font qu’il est impossible d’envisager une «politique». D’abord élus pour leurs programmes économiques, les partis vainqueurs ont dû les mettre aux placards de leurs QG de campagne, pour en fabriquer un autre, le Document de Carthage 1, sous la houlette de Habib Essid. Mais très vite, ce dernier est désavoué et cède sa place à une météorite de la vie politique tunisienne, Youssef Chahed, chargé d’exécuter, tel un Premier ministre, les clauses d’un accord signé à Carthage dans le cadre d’un gouvernement d’union natio- nale. Devant l’obstination des parties prenantes à vouloir, chacune de son côté, imposer son diktat, la désunion sera rapide. Pourtant, lors de deux discours très importants devant le Parlement, Youssef Chahed, soupçonné de délit d’ambition, avait clairement fixé le cap, en se donnant des objectifs clairs et mesurables à l’horizon 2020. Des objectifs discutables certes, mais qui ont le mérite d’être concrets. Le chef du gouvernement avait même remis aux élus du peuple un document détaillant l’ensemble des orientations gouvernementales. Stabiliser la dette à 70% du PIB, ramener la masse salariale de 40 à 12,5%, un taux de croissance de 5% et un déficit budgétaire ramené à 3%, ont ainsi été les principaux axes du plan Chahed sur lequel les électeurs auraient pu juger le bilan. Mais qu’importent les chiffres, l’économie et les réformes, lorsque le « moi » l’emporte sur le «nous» et lorsque certains sont prêts à faire un croche- pied à l’économie, pourvu que 2019 ne leur échappe pas. La gouvernance n’est plus alors une affaire de bon sens, mais bien un mélange entre une arène de lobbying et un tremplin pour les ambitions personnelles.
Confusion généralisée
Pendant ce temps, les économistes et les opérateurs économiques qui ont les mains dans le cambouis tirent depuis déjà plusieurs années la sonnette d’alarme. «Il n’est plus possible de continuer d’agir de la même manière», prévient M. Jamel Sassi, président du Conseil régional du Nord de l’Ordre des expertscomptables, lors d’une intervention hier matin sur «Radio Jeunes». L’instabilité politique crée une confusion chez les investisseurs et les partenaires étrangers de la Tunisie. Et la croissance de 2,5% au premier trimestre de 2018, présenté comme un succès, n’est pas suffisante pour créer de l’emploi. Tous les voyants sont au rouge et la loi de finances 2018 ne permettra pas à l’Etat d’honorer l’ensemble de ses engagements. Basé sur un baril de pétrole à 54 dollars, celui-ci se négocie actuellement à 79 dollars. Lorsqu’on sait qu’une hausse d’un seul dollar du prix du baril ampute le budget d’environ 120 MD, il est inutile de préciser que la situation est des plus difficiles. L’ex- ministre des Finances, Houcine Dimassi, préconise aujourd’hui une politique de «stabilisation de l’économie» et ce, en décrétant un gel à la fois des salaires, des prix et des taxes. Trois indicateurs qui n’ont cessé de s’emballer depuis la révolution. Aujourd’hui, le Document de Carthage 2 n’apporte véritablement rien de nouveau. Document politique par excellence, il n’est qu’une série de voeux exprimés par ce qui reste d’un gouvernement dit d’union nationale. A 17 mois des élections, aucune réforme ne peut être engagée et menée à son terme. Quant au prochain chef de gouvernement, si Chahed s’en va, il gérera les affaires courantes.