Poids politique vs poids social
CE lundi est attendu comme l’épilogue du marathon de réunions, de concertations, de manipulations et de tiraillements qui auront présidé, des semaines durant, à la révision du Document de Carthage. L’opération, qui devait être clôturée au bout d’une semaine de travail au niveau d’un comité d’experts, devant identifier et classer les priorités urgentes pour un plan de sauvetage économique et social, s’est embourbée et enlisée dans des calculs, des manoeuvres et des querelles politiques qui visaient, insidieusement, dès le départ, le limogeage du chef du gouvernement.
Seuls l’Ugtt et Ennahdha ont campé sur leur position dès le début de la crise : la centrale des travailleurs a oeuvré sans répit pour le remplacement de Youssef Chahed, pour les raisons (insuffisantes) invoquées et d’autres sans doute inavouées ; quant à Ennahdha, contrairement aux autres (partis et organisations), son soutien à Chahed n’a pas bougé d’un iota jusqu’à se retrouver seul contre tous, vendredi dernier, lors de la réunion des signataires du Document de Carthage qui devait statuer sur le sort de Chahed à la tête du gouvernement.
Les deux positions bloquent, chacune de son côté, l’issue du processus. L’Ugtt menace de se retirer du Document de Carthage et Ennahdha est capable de faire tomber au Parlement la motion de censure contre Chahed, et ce notamment avec les députés de Nida qui ne soutiennent pas le directeur exécutif Hafedh Caïd Essebsi dans sa campagne de dénigrement contre Youssef Chahed.
Dans les deux cas de figure, le pire est à craindre, mais tout au long de la journée d’hier, le sort du gouvernement, voire celui du Document de Carthage et de tout le pays, était accroché à la décision qui devait sortir de la réunion du Conseil de la choura, mécanisme consultatif d’Ennahdha. Le Conseil devait trancher la position finale à adopter par le mouvement. Soit opérer un coup de force électoral au Parlement et maintenir Chahed au pouvoir (avec quelle ceinture politique ?) jusqu’à 2019. Dans le cas échéant, cela suppose que Chahed ait répondu favorablement à l’appel lancé par le Cheikh, via un média, de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2019. Soit abdiquer et lâcher Youssef Chahed pour éviter la désintégration du Document de Carthage, le mécanisme pragmatique d’exercice du consensus des deux cheikhs. Dans ce cas-là, Youssef Chahed préserve toutes ses chances pour 2019, sans doute pas sous les couleurs de Nida Tounès. Peut-être sous les ailes de la colombe d’Ennahdha. Qui sait ? L’Ugtt devait également tenir une commission administrative pour entériner sa décision de retrait du Document de Carthage…Au cas où Ennahdha maintiendrait Chahed à La Kasbah. Morale de l’histoire : Ennahdha gouverne avec tout son poids politique et l’Ugtt use sans compter de son poids social.