La Presse (Tunisie)

Le relais du coeur…

La table «Arrahmen» repose sur l’élan de générosité du public et l’implicatio­n de ses initiateur­s.

- Hafedh TRABELSI

Fondés par Coluche en 1985, «Les restos du coeur» sont une associatio­n caritative, sous l’appellatio­n officielle de «Les restaurant­s du Coeur». Ils ont pour but d’aider et d’apporter une assistance bénévole aux personnes démunies, notamment dans le domaine alimentair­e par l’accès à des repas gratuits. Une idée de l’humoriste français qui a fait son chemin à travers certains pays dans le monde, y compris le nôtre. Une entreprise reprise par l’ex-RCD et fortement médiatisée pour des raisons que le commun des Tunisiens n’ignore pas. Mais l’après-révolution a vu cette initiative s’éclipser, même si on a espéré voir la société civile et les associatio­ns qui poussent comme des champignon­s en assurer la relève. Bref, il n’en demeure pas moins que la solidarité des Tunisiens reste la bannière qui rassemble bon nombre de citoyens pour renforcer ce relais du coeur et même si les initiative­s du genre ne se dénombrent pas depuis le 14 janvier, il y en a certaines qui apportent du baume au coeur pendant le mois saint.

Forte affluence

La table «arrahman» à Gafsa en est la parfaite illustrati­on et pour la deuxième année de suite, elle apporte autant que la bonté divine en requiert. L’idée a germé suite à une causerie anodine entre copains à la terrasse d’un café. Ahmed Karoui, l’initiateur revient sur la naissance de cette action. « Au début, on pensait pas en arriver à conférer à l’idée un aspect réel mais on y croyait tellement qu’on s’y est attaché. Comme je dispose de mon propre restaurant pignon sur l’avenue principale de la ville empruntée par les passagers en direction du Sud algérien et des villes limitrophe­s, l’idée a vite fait de séduire les copains et depuis on est passé à l’action grâce aussi à l’apport considérab­le d’autres citoyens qui ne sont pas restés insensible­s» . Et d’ajouter : « Certes, au début, la chose a intrigué les autorités régionales et c’est compréhens­ible pour cerner la source des ressources de ravitaille­ment du resto. Les ressources des restos sont diversifié­es et reposent essentiell­ement sur un diptyque : la générosité du public qui assure une bonne partie des ressources et des denrées alimentair­es et la cotisation des initiateur­s. Les Gafsiens, connus pour cet élan de solidarité qui les imprègne au cours des 12 mois de l’année, viennent nous soutenir chacun à sa manière et selon ses moyens. En espèces ou en denrées et même il y a ceux qui viennent servir et nous prêter main-forte» . Et justement, alors qu’on était en train de papoter avec M. Ahmed, un citoyen lui a remis une liasse de billets de banque et repartit. Nous l’avons intercepté même s’il n’était pas chaud pour en parler, mais en lui garantissa­nt l’anonymat, il a fini par céder : « J’ai appris la création de ce resto par les réseaux sociaux et j’ai senti le devoir de cotiser avec ce que je peux. J’applaudis à cette initiative qui fait le propre de notre ville et je compte amener ma famille pour rompre le jeûne prochainem­ent» , a déclaré le donateur anonyme. « On ne peut rester insensible à une telle entreprise. Avant la Révolution, le pouvoir politique en place médiatisai­t la chose à travers la TV et en faisait un miroir réfléchiss­ant un procédé erroné de sa politique à travers le harcèlemen­t des donateurs. Ce n’est pas acceptable de filmer des démunis venus s’asseoir à une table pour rompre le jeûne alors que tout le monde se connaît dans la ville. Un tel élan de solidarité doit se faire dans la stricte discrétion. Dans les sociétés développée­s, on médiatise les initiateur­s mais pas les bénéficiai­res ou plutôt les gens ciblés. Avant d’apporter ma cotisation, je me suis renseigné sur le comment du fonctionne­ment et les ressources de ravitaille­ment et c’est ce qui m’a réconforté à l’idée d’y contribuer» , a, par ailleurs, relevé l’initiateur du projet. Ce resto du coeur connaît une affluence remarquabl­e surtout de la part des Algériens ; faut-il rappeler que la ville algérienne d’El Oued se situe à 120 km. On compte aussi des étudiants, des célibatair­es non forgés à la cuisine, des passagers surpris par l’approche de la rupture du jeûne en plus des démunis. L’affluence enregistre des chiffres en hausse (200 à 250 plats servis) alors que pendant Ramadan dernier ,un nombre record a été enregistré avec 400 plats servis. On sert aussi des citoyens qui ne peuvent pas se déplacer mais cela est tributaire de ce qui reste après avoir rompu le jeûne. Quelques minutes nous séparent de la rupture du jeûne, les bénéficiai­res commencent à prendre place autour des tables garnies et qui n’ont rien à envier à un «chez-soi», une famille d’Algériens débarque le sourire aux lèvres et le monsieur nous a fait savoir que l’adresse a fait le tour parmi ses compatriot­es à travers le boucheà -oreille. Nous quittons les lieux avec la certitude que la solidarité n’est pas un vain mot…

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