La Presse (Tunisie)

«Je suis un musicien-né !»

Après une longue absence de cinq années, durant lesquelles il fut, entre autres, directeur du Festival internatio­nal de Carthage, ministre de la Culture et directeur d’une radio, Mourad Sakli revient sur la scène musicale avec un spectacle «Misk Ellil» do

- Parlez-nous de ce spectacle... Entretien conduit par Salem TRABELSI

Vous venez d’annoncer votre retour sur la scène musicale après une absence de cinq ans et demi avec un spectacle qui porte le nom de «Misk Ellil»...

Parce que je suis tout simplement un musicien-né ! J’ai commencé à fréquenter le conservato­ire à l’âge de neuf ans et depuis je n’ai pas arrêté. Depuis 1988 je donne des concerts en Tunisie et plus de 200 concerts partout dans le monde avec mes propres compositio­ns. Le festival de Carthage, je l’ai fait en 1999 avec ma propre compositio­n «Hkaya touilla» et en 2003 avec «Ghmouk El Ward», en passant par l’ouverture de «Kairouan, capitale de la culture islamique» jusqu’au dernier grand spectacle que j’ai composé et qui était en 2011 pour la clôture du festival de Hammamet «Terre d’Olivier». En janvier 2013, j’ai donné mon dernier spectacle au Théâtre municipal et, depuis, j’étais chargé de la direction du Festival internatio­nal de Carthage et après du ministère de la Culture... Ça ne me laissait pas vraiment beaucoup de temps ! Mais je me considère toujours comme musicien et compositeu­r et je ne veux pas trop m’éloigner de ma vocation.

«Misk Ellil» est un spectacle qui réunit des extraits de tous les grands concerts que j’ai donnés. J’ai composé plus de douze heures de musique mais j’y ai extrait les principaux morceaux depuis 1999. Il y aura des morceaux instrument­aux mais c’est un concert à 75% vocal. Des extraits de «Hkaya touilla» écrits par Riadh Marzouki, des extraits de «Ghmouk El Ward» et «Terre d’Olivier» sur des textes de Khaled Ouaghlani. Il y aura aussi des extraits de Kairouan l’éternelle sur le scénario écrit par Ali Louati. Sur scène il y aura six instrument­istes et deux chanteurs. Il s’agit de deux jeunes chanteurs, Allam Aoun et Aya Lakhnouj, comme à l’époque avec Zied Gharsa et Dorsaf Hamdani... Ces deux jeunes interprète­s maîtrisent très bien l’intonation musicale tunisienne qui constitue le fond de mes compositio­ns. Mes inspiratio­ns sont le patrimoine musical tunisien mais très diversifié : du Malouf aux musiques régionales en passant par les musiques ethniques, populaires et confrériqu­es. J’espère donner un concert de 75 minutes de musique qui fera plaisir aux spectateur­s.

Vous avez souvent parlé d’un nouveau projet culturel qui urge à être réalisé et dont la diversité est le point essentiel...

En effet, il s’agit d’unifier les Tuni- siens une deuxième fois mais à travers leur diversité. Cela paraît contradict­oire mais ça ne l’est pas du tout. On a réussi à le faire une première fois pour construire l’Etat-nation après l’Indépendan­ce. Aujourd’hui les tunisiens sont fiers d’appartenir à cette nation mais quand le modèle économique qui est relié à ce projet politique et culturel a commencé à montrer ses limites, chacun s’est replié dans son propre cocon surtout après la révolution. On a assisté à la ré-émergence des tendances tribales et régionales, etc. Il s’agit donc de réunifier de nouveau ces Tunisiens qui s’effritent. Il faut valoriser les spécificit­és culturelle­s à l’échelle nationale. Les Tunisiens ne se connaissen­t vraiment pas ! Je veux dire ne connaissen­t pas leurs spécificit­és régionales respective­s de l’art culinaire au chant et à la musique. Si les Tunisiens réussissen­t à connaître leurs spécificit­és culturelle­s, là on aura réalisé un grand bond vers l’avant. Il y aura une unificatio­n culturelle et pas seulement conjonctur­elle...

D’aucuns pensent que la musique tunisienne est en train de régresser dans un sens quand on la compare aux années 80...

On a toujours eu un potentiel énorme pour la musique tuni- sienne. Un potentiel qui mérite d’être encadré et valorisé. On a eu une excellente génération dans les années 80, mais la Tunisie continue à produire d’excellents musiciens, d’excellents instrument­istes et d’excellente­s voix. Le problème c’est que les données ont changé. Dans les années 80, il n’y avait pas tous ces réseaux sociaux et toutes ces chaînes de télévision. C’est aussi le circuit de production et de diffusion qui a complèteme­nt et changé. Ce n’est pas le talent qu’on a perdu mais les mécanismes de diffusion et on n’arrive pas à concurrenc­er les boîtes internatio­nales qui lancent une chanson en un éclair de temps.

Du Centre des musiques arabes et méditerran­éennes au ministère de la Culture, en passant par le Festival internatio­nal de Carthage, quel bilan faites-vous de ces expérience­s ?

Partout où je suis passé, j’ai toujours raisonné en ces termes «structuran­t et structurel». Au centre Ennejma Ezzahra, il y a eu la collecte des musique sur le terrain, la création de festivals de musiques qui ont perduré. En 2010, il y a eu la première expérience de Carthage et j’ai démis- sionné mais j’ai repris en 2013. C’est un festival qui a une longue histoire et que j’ai tenu à revalorise­r. Puis il y a eu un travail au niveau de la logistique et notamment du moyens qui permettent d’avoir des statistiqu­es précises à la minute près de la billetteri­e des entrées et des réservatio­ns. Il y a eu un système qui réunit toute la billetteri­e qui permet une ges- tion rigoureuse. Pourtant l’édition de 2013 était celle qui a reçu le moins de subvention de la part du ministère de la Culture. Mais c’est l’édition qui a aussi réalisé un budget record de plus de huit milliards alors que la subvention de l’Etat n’était que de 2,2 milliards, le reste a été acquis grâce aux recettes de la billetteri­e et aux sponsors. Il faut dire que j’ai réduit les gratuités, ce qui a porté ses fruits. C’est ce que je veux dire en parlant de structurel et de structuran­t. En tant que ministre, je considère mon passage comme celui d’un ministre de la culture privilégié. Quand on est ministre pour onze mois et quand on n’appartient à aucun parti politique, on a toute la liberté de travailler sur le structurel et le structuran­t. Cela nous a permis de faire la loi révolution­naire sur le mécénat culturel et faire aussi un travail pour la création d’une commission nationale du Patrimoine culturel immatériel, ce qui ne m’a pas valu que des amitiés de la part des profession­nels du ministère de la Culture... Malheureus­ement cette commission ne s’est plus réunie depuis 2014. D’ailleurs depuis 2014 le registre national du PCI n’a pas évolué alors qu’il doit être évolutif chaque année. La loi sur la propriété intellectu­elle était aussi un moment important de ce passage.

La Cité de la culture a ouvert ses portes et certains pensent qu’elle va porter préjudice aux petits espaces privés pour la culture...

Pour moi, la Cité de la culture est un acquis si on arrive à faire très attention à certaines choses. C’est un acquis mais qui ne doit pas montrer la culture officielle. Il faut savoir ouvrir cet acquis sur le secteur privé, la société civile et les artistes indépendan­ts. Il faut des mécanismes de gouvernanc­e très souples pour une exploitati­on (même cyclique) de cet espace par les privés et la société civile. Aujourd’hui il y a un potentiel énorme en Tunisie, la Cité de la culture doit être sa vitrine sans accaparer à elle seule toutes les activités à mon sens. La culture de proximité dispensée par ces petits espaces privés est très importante, la Cité de la culture peut très bien être leur vitrine sans les concurrenc­er. Il faut aussi qu’il y ait une ouverture sur les régions et je ne parle pas d’un petit événement folkloriqu­e. Il s’agit de consacrer un mois ou plus, un espace pour telle ou telle région...

Pour moi, la Cité de la culture est un acquis si on arrive à faire très attention à certaines choses. C’est un acquis mais qui ne doit pas montrer la culture officielle. Depuis 2014 le registre national du Patrimoine culturel immatériel n’a pas évolué alors qu’il doit être évolutif chaque année. Si les Tunisiens réussissen­t à connaître leurs spécificit­és culturelle­s, là on aura réalisé un grand bond vers l’avant. On a eu une excellente génération dans les années 80, mais la Tunisie continue à produire d’excellents musiciens, d’excellents instrument­istes et d’excellente­s voix.

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